Après les « fake news », une autre technique totalitaire est de plus en plus usitée par certains médias et groupes de pression : le discrédit d'une personne soupçonnée dévier de la « ligne ». Deux exemples.
Le premier : dans bien des cas, toute critique à l'égard de la politique du gouvernement israélien est assimilée à de l'antisémitisme et son ou ses auteurs qualifiés comme tels. Ce qui est en soi odieux et grave. Odieux, parce que toute personne réputée antisémite est non seulement passible de sanctions judiciaires et aussi est rejetée par la société. Là aussi, le président Macron cherche à assimiler l'antisionisme à l'antisémitisme.
La plus célèbre victime de ce procédé odieux fut le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, suite à un reportage qu'il a effectué sur la mort d'un jeune père palestinien et de son fils tués par des tirs israéliens lors d'un affrontement à un check point. Il fut accusé d'avoir monté ce drame de toute pièce. Il fut ainsi traîné dans la boue pendant plusieurs années pour finalement être blanchi. Mais cela lui a coûté sa fin de carrière puisque sa candidature au poste de correspondant à Washington lui fut refusée.
Le grand journaliste Charles Enderlin fut traîné dans la boue, insulté, accusé d'antisémitisme, suite à un reportage qui gênait l'extrême-droite israélienne.
Le second exemple est la polémique déclenchée par l'affaire Weinstein à Hollywood. Suite aux « révélations » de plusieurs stars, ledit Harvey Weinstein se livrait systématiquement à l'antique et odieuse technique de la « promotion canapé ». De là est né sur les réseaux sociaux un mouvement #Balance ton porc et un autre #Me too. Cela consiste à dénoncer tout harceleur sexuel, tout dragueur envahissant au même titre que des violeurs patentés. Donc, un comportement pas toujours approprié est assimilé à un crime majeur !
Autrement dit, faites gaffe les mecs, la police du sexe veille ! Et si vous êtes dénoncés, soupçonnés, montrés du doigt pour avoir osé mettre vos mains sur la fesse d'une nana, il y a vingt ans, il n'y a pas prescription : vous n'êtes qu'un porc et il faut vous jeter l'opprobre jusqu'à la fin des temps.
Harvey Weinstein avait fait en sorte que toutes les actrices jouant dans ses productions passent par la case canapé... jusqu'au jour où l'une leva l'Omerta.
Les médias en ont rajouté à cœur joie. Dès lors, règne une atmosphère d'inquisition visant tout particulièrement les mâles un peu trop audacieux ! Haro sur le dragueur et surtout, au nom d'une égalité imaginaire, dénonçons le soi-disant mâle dominant comme le nouveau Satan.
Le combat des femmes pour la dignité vaut bien plus que ces délires ! Curieusement, ces féministes de choc ne se préoccupent guère de l'égalité salariale femmes-hommes revendiquée depuis 1966 lors de la grève des femmes de la FN de Herstal, sous le slogan : « A travail égal, salaire égal ». Et cette égalité n'existe pas encore aujourd'hui, cinquante-deux ans après ! Le statut de la femme enceinte, des mères au niveau des entreprises et même dans la société reste encore bien trop précaire. L'interruption volontaire de grossesse risque à nouveau d'être pénalisée. Un véritable statut de la femme dans la société et dans les entreprises reste à construire. Et le sort des femmes dans le Tiers-monde, on l'oublie ? Ce sont là les vrais combats ! Mais dans l'environnement néolibéral, il vaut bien mieux s'attaquer à de grossiers peloteurs et tastes fesses qu'au statut social et politique de ce qu'on appelle la moitié de l'humanité.
Les femmes grévistes de la FN de Herstal étaient déterminées. Elles sont devenues le symbole de la lutte des femmes.
Notre ami Bernard Gensane a publié sur son blog la position d'une militante de gauche, Liliane Laffond qui prend position sur cette campagne qui a été critiquée par une tribune parue dans le Monde signée par cent femmes, dont l'actrice Catherine Deneuve, les écrivaines Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, ainsi que la professeure de critique historique de l'ULB et militante de gauche belge Anne Morelli.
Anne Morelli, professeure récemment pensionnée de l'ULB : une militantde de gauche de toujours.
Evidemment, le microcosme s'est indigné des propos de ces cent dames et a dénoncé avec virulence une dérive droitière. Ben tiens ! Malheureusement, Catherine Deneuve a reculé et s'est excusé auprès des femmes victimes de violences. En quoi devait-elle s'excuser ? Elle ne leur a fait aucun tort. Elle a simplement dérangé l'establishment. Et ça, c'est impardonnable ! Dommage.
Catherine Deneuve a malheureusement cédé à l'hystérie du microcosme après avoir courageusement signé la tribune du "Monde".
Réfléchissons aussi à ce commentaire de Richard Werly dans le blog « Le Temps » où il dénonce la dangereuse dérive totalitaire en ces termes :
« Cette mécanique du discrédit est fascinante. L'on voit bien comment, aujourd'hui, elle s'est refermée en France sur le débat autour du harcèlement sexuel et des prises de position sur le sujet de certaines femmes célèbres. Le constat est amer: il perdure aujourd'hui, au pays de Voltaire et de Rousseau, du capitaine Dreyfus et du marquis de Sade, cette volonté d'éliminer l'autre intellectuellement, de lui supprimer son droit de parole alors que celui-ci est théoriquement encadré par les lois démocratiques en place. L'anathème l'emporte. Certaines tribunes médiatiques ne sont plus faites pour exprimer un point de vue, mais pour clouer au pilori. »
Après les « fake news », voici l'opprobre sur tout ce qui n'est pas conforme à la morale conformiste. Le combat contre le totalitarisme larvé que veut imposer un Macron ne fait que commencer.
Pierre Verhas
Liliane Laffond sur la Tribune de Catherine Deneuve
Liliane Laffond est une femme de gauche que je ne connais pas mais que je suis régulièrement sur Facebook. Á rebours de plusieurs personnalités " féministes de gauche ", elle prend position sur la Tribune signée par Catherine Deneuve dans Le Monde. Elle n'y va pas avec le dos de la cuiller.
La tribune courageuse publiée par cent femmes dans Le Monde, qui critique la campagne #MeToo, a provoqué une réaction furibonde de l'élite dirigeante française. La tribune, cosignée par notamment les actrices Catherine Deneuve et Ingrid Caven, et les écrivaines Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, est claire. Elle démontre que le déchaînement autour de #MeToo, qui est ressortie l'année dernière de la campagne médiatique pour accuser le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein d'abus sexuels, est UNE CAMPAGNE POLITIQUE DE DROITE !
Se refusant à confondre « la drague insistante ou maladroite » et le viol, elle s'oppose à « l'incursion de procureurs autoproclamés dans la sphère privée » et à ceux qui exigent que la vie intellectuelle et artistique se conforme au diktat de #MeToo. Elle déclare qu'en exigeant la censure d'œuvres d'art sexuellement explicites et des confessions publiques humiliantes d'hommes accusés de méfaits sexuels, #MeToo participe à installer « comme un climat de société totalitaire ».
Cette réfutation de #MeToo a enragé les forces qui, depuis longtemps, présentent une politique sociétale de droite comme étant la «gauche». Le Parti socialiste (PS), le parti de gouvernement social-démocrate en France depuis la grève générale de Mai-juin 1968 qui est un soutien important de la politique de genre, a sonné la charge. Des dirigeants du parti, qui se disloque après son effondrement aux élections de 2017 face à la colère contre sa politique d'austérité et de guerre, ont dénoncé de manière hystérique Deneuve et les autres signataires en tant qu'apologistes du viol.
Un examen de leurs arguments – qui mêlent accusations non corroborées, des menaces et des diffamations grossières visant les signataires de la tribune, et surtout Deneuve – confirme le jugement porté par la tribune: #MeToo est un mouvement antidémocratique et de droite.
Ségolène Royal, candidate présidentielle vaincue du PS, néolibérale et sécuritaire, en 2007, a attaqué Deneuve sur Twitter. Insinuant que Deneuve se désintéresse de la dignité des femmes, elle écrit: « Dommage que notre grande Catherine Deneuve se joigne à ce texte consternant. Toutes nos pensées, hommes et femmes soucieux de la dignité des femmes, vont aux victimes de violence sexuelle, écrasées par la peur d'en parler. »
Des dénonciations au vitriol ont fait florès autour du Tweet de Royal. Une internaute, Jessica (@JessRtr) s'est moquée du titre de la tribune, «Nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle ». Elle a proposé aux sympathisants de #MeToo de harceler Deneuve sexuellement: « N'oubliez pas d'utiliser votre droit d'importuner en mettant une grosse main aux fesses de Catherine Deneuve quand vous la croisez. »
Le centre de la réaction du PS était une tribune grossière et diffamatoire rédigée par Caroline De Haas, du PS, et signée par 30 militantes féministes. Publiée sur le site Web de France Télévisions, c'est la réaction officielle approuvée par l'État à la tribune du Monde: d'accuser faussement les femmes qui ont signé cette tribune de faire l'apologie du viol.
Dans la page Web sur laquelle cette tribune est affichée, De Haas déclare, sans fournir de preuve ou de précision: «Les signataires de la tribune du Monde sont pour la plupart des récidivistes en matière de défense de pédocriminels ou d'apologie du viol. Elles utilisent une nouvelle fois leur visibilité médiatique pour banaliser les violences sexuelles. Elles méprisent de fait les millions de femmes qui subissent ou ont subi ces violences.»
C'est là une déformation vicieuse de la tribune du Monde, qui ne fait pas l'apologie du viol. En réalité, la tribune commence en établissant une distinction claire: «Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n'est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste.»
Cette distinction entre le viol et la drague fait bondir De Haas. Elle écrit: « Les signataires de la tribune mélangent délibérément un rapport de séduction, basé sur le respect et le plaisir, avec une violence. Tout mélanger, c'est bien pratique. Cela permet de tout mettre dans le même sac .»
Ce ne sont pas les signataires de la tribune du Monde qui veulent « tout mettre dans le même sac », mais – comme l'expliquait bien la tribune du Monde – De Haas et le mouvement #MeToo. La réaction de De Haas à la tribune a l'effet d'anéantir toute distinction entre une proposition sexuelle faite à une femme qui ne s'y intéresse pas et le viol: l'un et l'autre sont de la «violence».
De là, De Haas tire une conclusion toxique et réactionnaire. Selon elle, toutes les femmes, partout, doivent vivre dans une terreur constante de violences sexuelles horribles: « Les violences pèsent sur les femmes. Toutes. Elles pèsent sur nos esprits, nos corps, nos plaisirs et nos sexualités... Nous avons le droit fondamental de vivre nos vies en sécurité. En France, aux États-Unis, au Sénégal, en Thaïlande ou au Brésil : ce n'est aujourd'hui pas le cas. Nulle part. »
Cette vision infernale est celle que critiquait correctement la tribune du Monde en s'opposant à l'idée que les femmes sont « de pauvres petites choses sous l'emprise de phallocrates démons ».
La tribune de France-Télévision traite avec mépris les questions démocratiques fondamentales soulevées par les signataires de la tribune du Monde contre #MeToo. Ces dernières pointaient le caractère extrajudiciaire de la persécution d'hommes mis en cause puis licenciés sans aucune forme de procès, ou même d'inculpation. Elles protestaient contre la censure de nus d'Egon Scheide ou de tableaux de Balthus, les appels à interdire une rétrospective de Roman Polanski, et les intimations que les écrivains devraient récrire leurs œuvres pour se conformer aux exigences de #MeToo.
De Haas dédaigne de mentionner ces questions, réagissant avec des caricatures simplistes. Se moquant de l'idée qu'après #MeToo, « On ne peut plus rien dire », elle écrit: « Comme si le fait que notre société tolère – un peu – moins qu'avant les propos sexistes, comme les propos racistes ou homophobes, était un problème. " Mince, c'était franchement mieux quand on pouvait traiter les femmes de salopes tranquilles, hein?" Non. C'était moins bien. »
On ne peut comprendre de telles remarques en dehors de l'hostilité envers les droits démocratiques et la classe ouvrière de la social-démocratie européenne et sa périphérie petite-bourgeoise.
Sous l'ancien président, François Hollande, le PS a imposé un état d'urgence pendant deux ans, de 2015 à 2017, qui suspendait les droits démocratiques. Fondé sur l'incitation d'une peur des musulmans après les attentats islamistes de novembre 2015 à Paris, l'état d'urgence a servi à réprimer violemment des manifestations contre la loi travail, impopulaire et anti-ouvrière, du PS. Macron en a transcrit les principales dispositions – pour des assignations à résidence, l'espionnage de la population, et les perquisitions, tous arbitraires – dans le droit commun.
À l'intérieur du PS et de son réseau d'alliés petit-bourgeois, dont le Nouveau Parti anticapitaliste, il n'y a eu aucune opposition réelle à l'état d'urgence. À présent, les grandes sociétés essayent d'utiliser la loi travail du PS pour imposer des salaires en dessous du SMIC dans la chimie, et des réductions d'emplois en masse dans l'automobile.
De Haas conclut, toutefois, en se présentant comme une femme «de gauche». Elle critique les signataires de la tribune du Monde en prétendant – sans fournir la moindre preuve – qu'elles sont biaisées contre les travailleurs. Elle écrit, « Beaucoup d'entre elles sont souvent promptes à dénoncer le sexisme quand il émane des hommes des quartiers populaires. Mais la main au cul, quand elle est exercée par des hommes de leur milieu, relève selon elles du "droit d'importuner". Cette drôle d'ambivalence permettra d'apprécier leur attachement au féminisme dont elles se réclament. »
Cette attaque contre Deneuve et les autres signataires est répugnante. Dans ce débat sur #MeToo, qui défend les droits démocratiques des femmes et des travailleurs ?
Est-ce que ce sont les partisans de #MeToo ? Les larbins du PS, un parti formé il y a presque 50 ans en tant qu'alliance des banques, de l'appareil d'État et de sections du mouvement soixante-huitard, et qui s'est depuis effondré pour devenir un petit croupion méprisé des Français pour ses politiques réactionnaires ? Est-ce De Haas, qui tente de salir Deneuve et d'autres actrices et artistes en les accusant d'apologie de viol avec le soutien de France-Télévision et du président Macron ?
Ou est-ce Deneuve, une des plus grandes actrices françaises du dernier demi-siècle, connue pour ses engagements à gauche dont les luttes pour la légalisation de l'avortement en 1973 et contre la loi Hadopi en 2009, ainsi que pour deux Césars de meilleure actrice – pour avoir joué une femme courageuse qui cache son mari juif sous l'Occupation dans Le Dernier Métro (1981), ou une propriétaire de plantations coloniales d'hévéas dans un portrait dévastateur de l'impérialisme français dans Indochine (1992) ?
Bron: http://uranopole.over-blog.com/2018/01/la-mecanique-du-discredit.html