Construire un « monde d’après », respectueux des peuples et de la planète, passera par la rupture avec la logique actuelle des accords de libre-échange, qui organisent la mondialisation sauvage au seul profit des multinationales, estiment une cinquantaine de personnalités – dont Ariane Estenne, Olivier De Schutter et Thierry Bodson – issues des mondes associatif, syndical et académique
Parmi celles et ceux qui télétravaillent en ce moment à Bruxelles, certains ont pour mission de préserver le monde d’avant, sans se soucier du monde d’après. C’est le cas du Commissaire européen au Commerce, l’Irlandais Phil Hogan. Avec son équipe, ce dernier négocie par caméras interposées des traités de libre-échange pour le compte de tous les États Membres européens, dont la Belgique. Ces discussions, hautement politiques, ont lieu à huis clos, loin du regard des peuples pourtant concernés au premier chef.
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Pour Phil Hogan, la messe est dite. « Nous avons besoin de davantage de libre-échange, pas de moins », a-t-il insisté au cours d’un entretien accordé le 6 mai. Cette assertion fait largement l’impasse sur la faillite patente du modèle libre-échangiste constatée lors de la crise sanitaire actuelle. Contre l’acharnement d’une certaine oligarchie à perpétuer un ordre mondial inégalitaire, nous estimons au contraire urgent de penser les échanges de demain sans reproduire les travers d’hier.
La mondialisation actuelle est l’arme des multinationales contre les citoyens…
Aujourd’hui, le monde est le terrain de jeu des multinationales. Elles délocalisent leurs usines là où les lois sociales sont inexistantes, les mouvements syndicaux criminalisés, les salaires misérables, les impôts bas et où les lois protègent le moins l’environnement. L’alarmante pénurie de médicaments à laquelle la crise sanitaire nous a confrontés n’a pour autre origine que le processus massif de délocalisation de la production de principes actifs. Ceux-ci sont actuellement importés de Chine et d’Inde à 80 %, contre 20 % il y a trente ans. De plus, les industries pharmaceutiques, fortes de leurs droits de propriété intellectuelle et du secret des affaires, tous deux protégés par les traités de commerce, disposent d’un monopole sur certains médicaments dont ils refusent de partager les informations pour trouver un remède au coronavirus.
Cette situation aberrante du point de vue de l’intérêt général découle directement des traités de commerce européens et internationaux négociés et signés ces trente dernières années.
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Demain, la priorité devra être donnée aux productions locales, industrielles, agricoles et tertiaires qui créent des emplois décents, paient leurs impôts et sont au plus proche des consommatrices et consommateurs. La marchandisation du commun et des services publics encouragée par les Accords de libre-échange devra cesser, et le respect des normes environnementales et sociales primer sur la satisfaction des intérêts des actionnaires. La mise en concurrence mortifère entre travailleurs à travers le monde, créatrice de misère et de ressentiments entre peuples et nations, doit céder le pas à des rapports de solidarité et de coopération.
… et celle des pays riches contre les pays pauvres
Aujourd’hui, le commerce n’est pas libre. Comme le souligne l’économiste Thomas Porcher « le libre-échange est avant tout un jeu inégal de domination ». Ainsi, depuis quelques semaines, l’Europe ferme ses frontières à l’exportation de matériel médical nécessaire pour protéger les soignants de la Covid-19 et soigner les patients. Cette situation a des conséquences morbides pour les États voisins des Balkans et pour les pays en voie de développement.
Demain, les règles du commerce doivent être réinventées. L’économie se doit d’être relocalisée et fondée sur l’échange équitable avec nos voisins. Les politiques devront intégrer la différence de besoins et de moyens des pays les plus pauvres. Nous échangerons sans imposer la loi du plus fort aux plus faibles.
La privatisation de la justice
Aujourd’hui, par la faute des traités de commerce et d’investissement, les entreprises peuvent demander des millions et même des milliards aux États lorsque ces derniers adoptent des lois sociales ou environnementales. Toute réglementation qui nuirait à leurs profits peut en effet finir devant un tribunal privé, où des avocats et des arbitres, complices des grandes entreprises, dépossèdent les collectivités et hypothèquent leur développement, leur bien-être et leur avenir.
Aujourd’hui, des cabinets conseillent déjà aux entreprises de recourir à ces tribunaux pour obtenir des compensations colossales, en plus de celles déjà mises en place, suite aux mesures gouvernementales pour lutter contre la Covid-19. Ce alors même que l’éradication des espaces sauvages par les multinationales est l’une des causes principales, pointées du doigt par l’ONU, de la transmission de virus inconnus à l’humanité.
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Demain, ces tribunaux devront être supprimés. Si des arbitrages internationaux doivent avoir lieu, ils ne pourront en aucun cas cibler les tentatives des collectivités de protéger leurs citoyens, mais devront au contraire prémunir celles-ci des abus des grandes entreprises.
Aujourd’hui, nous sommes fragiles face à ce virus, mais nous le serons plus encore devant les désastres écologiques.
Ensemble, nous pouvons reprendre le pouvoir sur les discussions commerciales. Le commerce peut et doit se mettre au service du développement humain, ici et dans le monde entier, et à la protection de la nature.
Oublions le fonctionnement au moindre coût de courts termes, l’avantage comparatif et les chaînes de production globales et créons une agriculture et une industrie locales, solidaires, respectueuses, tournées vers le long terme et la coopération plutôt que sur la compétition.
Source: https://plus.lesoir.be/301968/article/2020-05-20/contre-le-virus-du-libre-echange