Le gouvernement belge lors de la première vague de la pandémie, au mois de mars 2020 a fermé les commerces dits « non essentiels » jusqu’au mois de juin. Les commerces « essentiels » sont les grandes surfaces alimentaires, les pharmacies, les librairies-marchands de journaux et les… magasins de bricolage et les pépiniéristes. On dit que la Première ministre de l’époque, Madame Sophie Wilmès, est une grande amatrice de jardinage… Les marchés pourtant alimentaires, eux, sont considérés eux comme « non essentiels » et donc interdits !
L’Horeca, l’évènementiel, les théâtres et cinémas, les librairies – livres, les coiffeurs : tous fermés ! Des milliers de personnes soit ruinées, soit jetées dans la misère, sans emploi et surtout sans espoir ! Tout cela dès la première vague.
Les universités et les écoles fermées, ou ouvertes avec les fameux « gestes barrière », ou encore mises en vidéoconférences. Les élèves et les étudiants et aussi leurs profs s’en sont retrouvés désemparés ! On le serait à moins ! L’année académique 2019-2020 s’est achevée dans un chaos plus ou moins organisé. Bref, on ne l’avouera pas : un fameux gâchis. C’est-à-dire une génération laissée pour compte et cela continue !
Une catastrophe humanitaire
Et n’oublions pas le secteur hospitalier saturé avec un personnel débordé. Le COVID 19 a tout envahi. Des opérations dites non urgentes ont été reportées, des chimiothérapies retardées, des AVC et des troubles cardiaques plus ou moins soignés et les unités de soins intensifs croulant sous le nombre de personnes contaminées et en grande souffrance, avec un manque flagrant de personnels et d’équipements adéquats. Le résultat de trente années d’austérité dans le secteur des soins de santé. Une catastrophe humanitaire ! Le qualificatif n’est pas exagéré.
Et maintenant, nous sommes dans la deuxième vague encore plus dure que la première. Le gouvernement a cependant lâché un peu de lest en permettant tout récemment aux commerces dits « non essentiels » de rouvrir, à l’exception des coiffeurs et des métiers dits de contact (esthéticiennes, masseurs, tatoueurs, etc.). Cette dernière décision est incompréhensible. En quoi, ces professions sont-elles susceptibles de générer des foyers de contamination ?
Le Docteur Nathan Clumeck, un des plus grands spécialistes des maladies infectieuses.
Une sommité en matière de maladies infectieuses, le Docteur Nathan Clumeck qui, il y a une trentaine d’années, avait trouvé des thérapies efficaces contre le SIDA, vient de déclarer à la RTBF (Radiotélévision officielle de la partie francophone de la Belgique) au sujet du maintien de la fermeture des métiers de contact : « C'est difficilement compréhensible. Selon une étude américaine, 2 coiffeurs infectés mais portant le masque n'ont contaminé aucun de leurs 150 clients tracés. Avec les protocoles, on peut travailler. »
Un ministre inquisiteur
Cette décision émane essentiellement du ministre socialiste flamand Frank Vandenbroucke de la Santé publique du nouveau gouvernement fédéral du libéral flamand Alexander De Croo.
Frank Vandenbroucke est un personnage étrange. Aussi austère qu’autoritaire, peu ouvert au dialogue, il ressemble plus à un moine inquisiteur du XVIe siècle qu’à un ministre dans un gouvernement. En tant qu’homme politique, il traîne une batterie de casseroles datant de l’époque où il était l’étoile montante des Socialistes flamands au début des années 2000. Pour se faire oublier, il laissa tomber la politique pour épouser une carrière universitaire en Grande Bretagne et en Belgique. Il prône depuis la conception de « l’Etat social actif » qui revient à prêcher une refondation de la Sécurité sociale dans le cadre d’une économie mondialisée. En clair, tenter d’adapter la Sécu à la société ultralibérale… Et maintenant, il vient de rentrer par la grande porte au gouvernement en décrochant le poste de Vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé.
Frank Vandenbroucke, un ministre autoritaire et sans concessions
Au début, Vandenbroucke apparut comme un homme de décision, contrairement à sa prédécesseresse, l’ineffable Maggie De Block. Mais très rapidement, son caractère « janséniste » suscita la méfiance. Il s’est montré coutumier des déclarations à l’emporte-pièce et d’un autoritarisme excessif, même si certaines de ses décisions étaient tout à fait adéquates.
Mais, patatras ! Le ministre de la Santé vient de franchir le pont trop loin dans une de ses fameuses déclarations. Le comité de concertation gouvernement-experts qui s’est réuni le 27 novembre a décidé comme nous l’avons vu de rouvrir les commerces « non essentiels » au 1er décembre. Vandenbroucke s'est expliqué sur la décision de les fermer fin octobre : « Le risque de contamination dans les magasins est faible mais il fallait prendre une décision choc, à ce moment-là : il fallait créer un électrochoc ! »
L’électrochoc a provoqué un court-circuit !
L’électrochoc a manifestement provoqué un court-circuit ! C’est un tollé qui va de l’Union des Classes Moyennes jusqu’aux partis d’opposition – du pain bénit pour eux ! – en passant par plusieurs dirigeants de la majorité gouvernementale. Interdire à des dizaines de milliers de travailleurs indépendants comme salariés d’exercer leur métier et de gagner leur vie pour provoquer un « électrochoc » semble être un argument très peu convaincant ! Il n’est en tout cas dicté par aucune conclusion scientifique. Alors, quoi ?
Et puis, où est la compassion dans ce genre de froide déclaration ? S’il y a une personne qui n’a pas supporté l’électrochoc, c’est bien la barbière liégeoise Alysson qui a mis fin à ses jours choquant profondément tous les travailleurs indépendants de la région et devenant ainsi le symbole des laissés pour compte du confinement.
La tentation totalitaire
Au-delà de l’indignation tout à fait légitime suscitée par ces propos, il y a autre chose. Quelque-chose de bien plus important et de beaucoup plus grave : la tentation totalitaire. La stratégie de l’électrochoc ressemble à s’y méprendre à la stratégie du choc dénoncée par la journaliste et autrice canadienne Naomi Klein en 2008. (Voir Uranopole : http://uranopole.over-blog.com/article-26135187.html) On crée ou on profite d’un choc pour imposer sans aucun débat une décision politique, sociale ou économique qui d’ordinaire ne serait pas acceptée. En décrétant unilatéralement la fermeture des commerces, l’objet était donc d’agir avec force. C’est ce qu’a voulu faire Frank Vandenbroucke et il y est arrivé. On n’en parlerait pas s’il s’était abstenu de sa déclaration intempestive. Il persiste et signe par ailleurs en arguant qu’il s’est basé sur des études scientifiques, par ailleurs controversées.
La journaliste et militante canadienne Naomi Klein a admirablement démonté le mécanisme totalitaire dans son livre devenu de référence "La stratégie du choc" (Actes Sud, 2008)
Mais, le ver est dans le fruit. Des personnages comme Vandenbroucke souhaitent imposer leurs décisions en se basant sur un pouvoir fort et il faut bien avouer que c’est ce qu’il se passe depuis le début de la pandémie. Les mesures ont été prises unilatéralement. Les instances dirigeantes ont pris prétexte de l’urgence sanitaire pour les imposer sans en aviser le Parlement qui perd ainsi toute capacité de contrôle de l’exécutif.
Nous sommes bien là dans un processus totalitaire.
D’ailleurs, derrière cette politique sanitaire totalitaire, il y a d’autres aspects. Ainsi, des juristes se sont penchés sur les atteintes successives aux libertés fondamentales consécutives de la politique sanitaire du gouvernement De Croo et préconisent un nouveau cadre juridique pour que l’on reste dans la légalité.
Les apprentis sorciers du droit
La « Libre Belgique » du 30 novembre 2020 relate un projet émanant de juristes du Centre de Droit Public de l’ULB – un des meilleurs de Belgique – dirigé par le célèbre avocat et constitutionnaliste Marc Uyttendaele, qui propose l’instauration d’un Etat d’urgence légal en Belgique. Leur motivation :
« Personne ne réfute que nous étions, en mars, dans une situation d’urgence, ce qui est moins certain huit mois plus tard. Néanmoins, les mesures instaurées dans le cadre de la gestion de l’urgence et qui limitent nos droits fondamentaux doivent respecter le principe de légalité et ne peuvent pas être disproportionnées sous prétexte que nous sommes en période de crise. La Belgique reste un État de droit », rappelle Saba Parsa, avocate. Pour éviter que des mesures problématiques en droit soient de nouveau instaurées à l’avenir, ces experts proposent que soit élaboré un régime d’exception : celui de l’état d’urgence.
Saba Parsa, avocate et membre du Centre de droit public de l'ULB souhaite donner un cadre légal aux mesures d'exception.
« Ce mécanisme, qui existe dans de nombreux États démocratiques, permet de limiter ce qu’on voit aujourd’hui en Belgique, à savoir des actions politiques qui, en droit, ne sont pas toujours parfaitement balisées », poursuit Saba Parsa. Pour son confrère, Quentin Peiffer, assistant en droit constitutionnel à l’ULB : « D’autres démocraties ont instauré ce régime et cela fonctionne très bien. Le modèle allemand est à observer, et des standards internationaux existent, dont nous pourrions nous inspirer ». Sans doute vise-t-il la France qui vit dans un état d’urgence permanent depuis les attentats de 2015. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer cet état de fait qui est la porte ouverte à de graves abus comme on le vit maintenant avec les violences policières systématiques outre Quiévrain.
Certes, toutes les mesures restrictives de liberté en Belgique ont été prises sans aucun cadre légal. Et le plus surprenant est qu’elles furent imposées sans fortes protestations. La peur de la pandémie a suffi à la population pour accepter et appliquer bon gré mal gré des règles incontestablement totalitaires : restrictions de la liberté de circulation, obligation de porter un masque protecteur, couvre-feu, limitation stricte des réunions de toutes sortes, même funèbres, interdiction de travail pour certaines catégories de population, etc. Jamais, depuis l’occupation de 1940-1944, il n’y eut un tel régime. Certains ont remis en question son utilité, mais la grande majorité s’y est ralliée.
C’est cette absence de cadre légal qui justifie la démarche des constitutionnalistes de l’ULB. Mais, ils jouent aux apprentis sorciers en voulant légaliser l’état d’urgence.
« Pour Saba Parsa, le couvre-feu est un exemple parmi d’autres de limitation de nos droits fondamentaux. "C’est une restriction à nos libertés, dont la première, celle de pouvoir circuler librement dans la rue. D’autres limitations aux droits fondamentaux dictées dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 ressemblaient à s’y méprendre à de pures et simples suspensions de droits. Or, en Belgique, de telles suspensions ne sont pas autorisées par la Constitution en son article 187, sauf en temps de guerre en application de l’arrêté-loi du 11 octobre 1916. »
Un état d’urgence permanent
Ces juristes préconisent donc un cadre normatif plus clair, actuellement inexistant. "Ce régime d’exception devrait prévoir qui sera l’autorité compétente : le fédéral ou les entités fédérées, ou même un organe externe représentatif de ces entités ? Il devrait aussi dire comment faire les choses : à quel moment précis doit-on décréter l’état d’urgence ? Dans quelles conditions ? Uniquement en temps de guerre ou dans d’autres circonstances comme les épidémies ou les attaques terroristes, etc. ? Et enfin dire ce que les citoyens peuvent faire et ne pas faire", explique Patricia Minsier. "Il faut donc instaurer l’état d’urgence en Belgique dans l’intérêt de nos droits à tous." »
Cette démarche motivée par l’absence de cadre légal aux restrictions de libertés comporte un danger majeur. Elle tend à légaliser l’état d’urgence qui peut être décrété dans certaines circonstances comme une crise sanitaire, état de guerre, vague terroriste, etc. Et nos juristes vont encore plus loin : ils souhaitent adapter la Constitution qui est « une Constitution de temps de paix » - encore heureux !
Une période délimitée ?
Et Me Parsa conclut : « Un régime d’exception permettra d’instaurer des mesures exceptionnelles de manière encadrée et pour une période délimitée. Les mesures prises pour assurer la gestion d’une crise ne peuvent perdurer au-delà de l’urgence au risque de porter atteinte gravement aux droits fondamentaux. »
« Une période délimitée » ? C’est là où le bât blesse. Le régime d’exception que nous vivons sera-t-il levé à l’éventuelle fin de la crise sanitaire ? Rien n’est moins sûr, car il faudra en assumer les conséquences : faillites massives de commerces, dans bien des secteurs dont l’Horeca et l’agro-alimentaire, énorme accroissement du chômage et aussi une dette publique abyssale qui entraînera forcément un régime drastique d’austérité, insupportable pour les classes moyennes et populaires. Il sera dès lors impossible, dans ces conditions, de lever les mesures restrictives de liberté. Aussi, si on leur donne un cadre légal, on peut être convaincu qu’elles dureront, car au lieu de les encadrer, on les renforcera.
On ne peut toujours pas rentrer dans l’auberge, mais lorsque ce sera possible, on n’est pas près d’en sortir !
Pierre Verhas