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I La fin d’un homme

Depuis plusieurs mois, nous évoquons l’évolution de la situation de l’informaticien et journaliste australien Julian Assange, persécuté pour avoir publié les câbles diplomatiques secrets de Washington qui révélaient les crimes de guerre des Etatsuniens et de leurs alliés en Afghanistan et en Irak, accusé par la Suède d’un prétendu viol.

« Vous vous souvenez du meurtre de sang froid de civils irakiens dans Collateral Murder ? Vous vous souvenez de la torture à Guantanamo Bay ? Vous vous souvenez de la corruption politique révélée par les câbles diplomatiques ? Ce sont quelques-unes des histoires qui ont fait la une en 2010, lorsque les principaux journaux internationaux, du New York Times au Guardian en passant par Der Spiegel, se sont associés à WikiLeaks pour exposer les crimes de guerre américains et une longue liste de vérités honteuses que nos gouvernements avaient gardées secrètes. » (Ex Berliner – EXB – journal berlinois en langue anglaise, 8 septembre 2020)

Assange se trouvait à Londres lorsque la Justice suédoise demanda son extradition pour une accusation de viol. Sentant le piège et craignant d’être ensuite extradé de Suède vers les Etats-Unis, Assange s’est d’abord réfugié durant sept années à l’ambassade d’Equateur à Londres d’où il ne pouvait sortir et où, à son insu, ses moindres faits, gestes et paroles étaient notés par la CIA par l’intermédiaire d’une société de surveillance espagnole qui a clandestinement installé des dispositifs d’espionnage Quelques semaines après le renversement du président progressiste Rafaele Correa qui lui avait accordé l’asile et la nationalité équatorienne, exclu du pouvoir suite à des élections contestables, le nouveau président, Lénine (!) Moreno, sous la pression du gouvernement étatsunien, retire à Assange sa nouvelle nationalité et le fait expulser de sa « résidence » équatorienne. La police londonienne l’a transféré manu militari à la prison de haute sécurité de Belmarsch, où il côtoie des terroristes et de dangereux criminels. Il a d’abord été condamné par un tribunal londonien à 52 semaines de détention pour avoir échappé à la Justice anglaise en se réfugiant à l’ambassade d’Equateur. Cette période de détention a permis aux juges britanniques de préparer le procès de l’extradition d’Assange pour répondre à la demande de la puissance étatsunienne.

image 0933244 20201227 ob bf4287 julian assange arrestationL'expulsion manu militari de Julian Assange par la police londonienne révèle son traitement futur !

Entre temps, la Justice suédoise a abandonné les poursuites contre le fondateur de Wikileaks, faute de preuves. À y réfléchir, cette affaire de viol avait un double objectif : discréditer Assange auprès de l’opinion publique et le livrer indirectement aux Etats-Unis. Tout cela pour ce qui est en définitive une banale relation sexuelle consentie non protégée !

C’est d’ailleurs ce que dit Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture :

« Je ne sais pas si Julian Assange a commis une agression sexuelle ou non, mais ce que je sais, c’est que la Suède ne s’est jamais souciée de le savoir. Ils voulaient utiliser ces allégations pour le discréditer. Et une fois qu’ils ont activement diffusé ces allégations aux quatre coins du monde, ils se sont ensuite assurés qu’il n’y aurait jamais de procès en bonne et due forme car, comme le procureur l’a finalement admis en novembre 2019, ils n’ont jamais eu suffisamment de preuves pour même porter plainte contre Julian Assange. »

image 0933244 20201227 ob 6247d5 nils melzer 1Nils Melzer est un éminent juriste suisse, professeur à Genève et aussi dans plusieurs pays étrangers, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et les traitements inhumains, a pris fait et cause pour Julian Assange.

Un palais de justice qui fait partie d’un système carcéral.

Une première série d’audiences du procès d’extradition britannique eut lieu fin février, début mars 2020. Elles se déroulèrent à Woolwich Court attenant à la prison de Belmarsch. Craig Murray a rédigé et publié le compte-rendu de ces audiences. Il commente :

« Woolwich Crown Court est conçu pour imposer le pouvoir de l’État. Les tribunaux normaux de ce pays sont des bâtiments publics, délibérément placés par nos ancêtres en plein centre-ville, presque toujours à proximité d’une rue principale. Le but principal de leur positionnement et de leur architecture était de faciliter l’accès au public, avec la conviction qu’il est vital que la justice soit visible par le public.

Woolwich Crown Court, qui accueille le Belmarsh Magistrates Court, est construit sur un principe totalement opposé. Il n’a pas d’autre but que d’exclure le public. Rattaché à une prison située dans un marais balayé par les vents, loin de tout centre social normal, une île accessible uniquement en naviguant dans un labyrinthe de routes à double voie, tout l’emplacement et l’architecture du bâtiment sont pensés pour décourager l’accès au public. Il est entouré par la même barrière de palissage en acier extrêmement résistant qui ceinture la prison. C’est une chose extraordinaire, un palais de justice qui fait partie du système carcéral lui-même, un lieu où l’on est déjà considéré comme coupable et incarcéré dès son arrivée. Le Woolwich Crown Court n’est rien d’autre que la négation physique de la présomption d’innocence, l’incarnation même de l’injustice coulée dans du béton, de l’acier, et des vitres blindées. Il a précisément la même relation à la justice que Guantanamo Bay ou la Lubyanka. Il n’est en réalité que l’aile de condamnations de la prison de Belmarsh. »

Le tribunal est présidé par la magistrate Vanessa Baraitser qui se montre particulièrement hostile à l’égard de l’accusé et de sa défense.

« … dans la salle d’audience elle-même, Julian Assange est confiné au fond du tribunal derrière un écran de verre pare-balles. Il a fait remarquer à plusieurs reprises au cours de la procédure qu’il lui était ainsi très difficile de voir et d’entendre les débats. La magistrate, Vanessa Baraitser, a choisi d’interpréter cela, avec une malhonnêteté étudiée, comme un problème dû au très faible bruit des manifestants à l’extérieur, par opposition à un problème causé par le fait qu’Assange est enfermé à l’écart dans une énorme boîte de verre pare-balles.

Or, il n’y a aucune raison pour qu’Assange se trouve dans cette boîte, conçue pour contenir des terroristes extrêmement violents physiquement. Il pourrait siéger, comme le ferait normalement un accusé à une audience, au sein du tribunal à côté de ses avocats. Mais la lâche et vicieuse Baraitser a refusé les demandes répétées et persistantes de la défense pour qu’Assange soit autorisé à s’asseoir avec ses avocats. »

Voilà donc comment la Justice britannique traite Julian Assange ! Public limité au strict minimum, enfermement de Julian Assange dans une cage de verre pour entraver les contacts avec ses avocats, attitude hostile de la présidente du tribunal. Le procès s’annonce très mal ! Un incident révélateur : à la seconde audience, un des avocats d’Assange, Baltasar Garzon, l’ancien juge espagnol qui a fait poursuivre le dictateur Pinochet et qui souhaitait poursuivre les crimes du franquisme, devait rejoindre Madrid. Il se leva et alla vers la cage de verre pour saluer et serrer la main d’Assange. Les gardiens assis à ses côtés l’en empêchèrent !

image 0933244 20201227 ob d6e6f3 baltasar garzonBaltasar Garzon, évincé de son mandat de juge d'instruction, pour sa tentative d'exhumation du passé franquiste de l'Espagne est un des avocats de Julian Assange.

Des décisions pré-écrites

La première série d’audiences s’acheva le 8 avril 2020 pour reprendre le 7 septembre, à Westminster cette fois. Craig Murray dans son compte-rendu de la dernière audience du 30 septembre écrit :

« Baraitser a de nouveau suivi son cheminement habituel qui consiste à refuser chaque requête de la défense, à la suite de décisions pré-rédigées (je ne sais pas si elles sont écrites par elle ou si elle les a copiées), même lorsque l’accusation ne s’y oppose pas. Vous vous rappelez qu’au cours de la première semaine de l’audience d’extradition proprement dite, elle a insisté pour que Julian soit maintenu dans une cage de verre, bien que l’avocat du gouvernement américain n’ait émis aucune objection à ce qu’il siège dans le tribunal, et qu’elle ait refusé d’intervenir pour faire cesser ses fouilles à nu, ses menottes et la confiscation de ses documents, même si le gouvernement américain s’est joint à la défense pour contester sa déclaration selon laquelle elle n’avait pas le pouvoir de le faire (pour laquelle elle a ensuite été vivement réprimandée par l’Association internationale du barreau).

Hier, le gouvernement américain ne s’est pas opposé à une motion de la défense visant à reporter la reprise de l’audience d’extradition. La défense a invoqué quatre motifs :

1) Julian est actuellement trop malade pour préparer sa défense
2) En raison du confinement, l’accès à ses avocats est pratiquement impossible
3) Les témoins vitaux de la défense, y compris de l’étranger, ne pourraient pas être présents pour témoigner
4) Le traitement des problèmes de santé mentale de Julian a été interrompu en raison de la situation de Covid-19.

Baraitser a rejeté catégoriquement tous ces motifs - bien que James Lewis ait déclaré que l’accusation était neutre sur la question - et a insisté pour que la date du 18 mai soit maintenue. Elle a déclaré que Julian pouvait être amené dans les cellules du tribunal de Westminster pour des consultations avec ses avocats. (Premièrement, en pratique, ce n’est pas le cas, et deuxièmement, ces cellules ont un passage constant de prisonniers, ce qui est très manifestement indésirable avec Covid19). »

image 0933244 20201227 ob f7b49d craig murray01L'ancien diplomate Craig Murray a fait état de toutes audiences du procès Assange.

Il y a deux constats : à chaque fois, la juge Baraitser présente des décisions écrites avant l’audience – est-ce de sa propre initiative ou lui ont-elles été dictées ? – et rejette systématiquement toute requête de la défense, même si l’accusation ne s’y oppose pas ! Se conformerait-elle à des instructions préalables, on peut raisonnablement se poser la question.

Enfin, nulle mesure de protection d’Assange contre le Covid 19 n’a été prise aussi bien à la salle d’audience qu’à la prison de Belmarsch. Sans doute, son éventuelle contamination aurait arrangé pas mal de monde !

Trois pas sur deux !

Voici ce que conclut Craig Murray de ces trois semaines d’audience :

« … dans cette salle d’audience, vous étiez en présence du mal. Avec un placage civilisé, un semblant de procès, et même des démonstrations de bonhomie, la destruction totale d’un être humain était en cours. Julian était détruit en tant que personne sous mes yeux. Pour le crime d’avoir publié la vérité. Il a dû rester assis là à écouter des jours entiers de discussions posées sur l’incroyable torture qui l’attendait dans une prison américaine de grande sécurité, privé de tout contact humain significatif pendant des années, à l’isolement dans une cellule de seulement 4,5 mètres carrés.

4,5 mètres carrés. Retenez bien cela. Trois pas sur deux. De toutes les terribles choses que j’ai entendues, la plus effrayante était peut-être ce qu’a dit le directeur Baird en expliquant que la seule heure par jour autorisée pour sortir de la cellule est passée seul dans une autre cellule absolument identique, appelée "cellule de loisirs". Cela et l’infâme "expert" du gouvernement, le Dr Blackwood, décrivant comment Julian pourrait être suffisamment drogué et physiquement privé des moyens de se suicider pour le maintenir en vie pendant des années. »

Le jugement sur l’extradition est annoncé pour le 4 janvier 2021.

Nils Melzer estime : « Quelle que soit la décision, je pense qu’un appel sera interjeté auprès de la Haute Cour. Probablement par Julian Assange, car je ne m’attends pas à ce que la première instance refuse l’extradition. Mais même si un miracle se produit et que le juge refuse de l’extrader, les États-Unis feront certainement appel de cette décision. »

Laissons la conclusion à Nils Melzer :

« Nous parlons des droits de l’homme et non des droits des héros ou des anges. Assange est une personne, et il a le droit de se défendre et d’être traité avec humanité. Peu importe de quoi il est accusé, Assange a droit à un procès équitable. Mais ce droit lui a été délibérément refusé - en Suède, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Équateur. Au lieu de cela, il a été laissé à pourrir pendant près de sept ans dans les limbes d’une pièce. Puis, il a été soudainement été traîné dehors et condamné en quelques heures et sans aucune préparation pour une violation de la liberté sous caution qui consistait à lui avoir accordé l’asile diplomatique d’un autre État membre des Nations unies sur la base de persécutions politiques, comme le veut le droit international et comme l’ont fait d’innombrables dissidents chinois, russes et autres dans les ambassades occidentales. Il est évident que ce à quoi nous avons affaire ici, c’est la persécution politique. En Grande-Bretagne, les violations de la liberté sous caution entraînent rarement des peines de prison - elles ne sont généralement passibles que d’amendes. En revanche, Assange a été condamné dans le cadre d’une procédure sommaire à 50 semaines dans une prison de haute sécurité - une peine clairement disproportionnée qui n’avait qu’un seul but : détenir Assange suffisamment longtemps pour que les États-Unis puissent préparer leur dossier d’espionnage contre lui.

Que signifie le refus des États membres de l’ONU de fournir des informations à leur propre rapporteur spécial sur la torture ?

Qu’il s’agit d’une affaire arrangée d’avance. Un simulacre de procès doit être utilisé pour faire un exemple de Julian Assange. Le but est d’intimider d’autres journalistes. L’intimidation, d’ailleurs, est l’un des principaux objectifs de l’utilisation de la torture dans le monde. Le message que nous devons tous recevoir est le suivant : Voici ce qui vous arrivera si vous imitez le modèle de Wikileaks. »

Une affaire arrangée d’avance ? Nils Melzer en est bien conscient et ne se fait guère d’illusions sur son propre sort :

« En tout cas, je ne me fais pas d’illusions sur le fait que ma carrière aux Nations unies est probablement terminée. Ayant ouvertement affronté deux États P5 (membres du Conseil de sécurité des Nations unies) comme je l’ai fait, il est très peu probable qu’ils m’acceptent à un autre poste de haut niveau. On m’a dit que mon engagement sans compromis dans cette affaire avait un prix politique. Mais le silence a aussi un prix. Et j’ai décidé que je préfère payer le prix pour m’exprimer que le prix pour rester silencieux. »

L’affaire Assange n’a jamais porté sur Julian Assange.

Mais pour lui, le plus important est :

« Mais l’affaire Assange n’a jamais porté sur Julian Assange. Il s’agit de l’éléphant dans la pièce que tout le monde semble ignorer : la mauvaise conduite officielle des états qu’Assange a exposé. En 2010, au moment des révélations, tout le monde était choqué par les crimes de guerre, la torture, la corruption, et le public du monde entier a commencé à en parler. Cela a rendu les États concernés très nerveux. Ce n’est donc pas un hasard si, quelques semaines plus tard, les autorités suédoises ont délibérément publié un gros titre dans la presse à sensation : Julian Assange est soupçonné de double viol. Immédiatement, le public du monde entier s’est désintéressé de la discussion des crimes des puissants, a changé d’orientation et a commencé à débattre du caractère et de la personnalité de Julian Assange : est-il un violeur, un narcissique, un hacker, un espion ? »

Ainsi, la fin d’un homme est programmée par l’Etat profond étatsunien avec comme supplétifs la Justice britannique et la Justice équatorienne.

La fin d’un homme, la fin d’un monde.

Pierre Verhas