Le dimanche 28 mars 2021, ce sera rebelote : nous passons pour la quarante-troisième fois à l’heure d’été. Outre le réel désagrément provoqué par ce changement d’heure bisannuel, cette heure dite d’été qui s’achèvera cette année-ci le 31 octobre, comporte de réelles nuisances en dépit de l’avantage assez futile de longues soirées ensoleillées pendant une partie de la saison estivale.
Dimanche dernier, le 21 mars, la chaîne RTL-TVI m’a fait l’honneur de m’inviter à participer à l’émission débat hebdomadaire du dimanche midi animée par le journaliste Christophe Deborsu. Ce fut très court et il était impossible de synthétiser cette problématique assez complexe en trois minutes, d’autant plus que mon interlocuteur était le député européen PS Marc Tarabella que j’apprécie par ailleurs pour son travail dicté par un sens social aigu, en bon politicien, monopolisa la parole pendant quatre minutes pour défendre l’heure d’été !
Le député européen PS Marc Tarabella face à votre serviteur
Remontons le temps.
Pour bien comprendre la question, il faut remonter le… temps.
Au XIXe siècle, il y avait une certaine anarchie dans la fixation de l’heure aussi bien au sein des nations qu’entre elles. Ainsi, en Belgique, jusqu’en 1842, l’heure était différente d’une ville à l’autre ! C’est le développement du chemin de fer qui a imposé une heure unique sur tout le territoire. À la fin de ce siècle, avec le développement des transports internationaux, il s’avérait indispensable d’harmoniser cette question d’heure sur l’ensemble du globe.
En 1847, la British Railway Clearing House recommande de son côté à toutes les compagnies d’adopter le temps moyen de l’observatoire de Greenwich, qui servait déjà de référence aux navigateurs. En 1883, les entreprises ferroviaires étatsuniennes et canadiennes scindent leur territoire en cinq zones égales, introduisant du même coup la nouvelle notion de « fuseau horaire ». Un an plus tard, la Conférence internationale de Washington instaure le partage du globe terrestre en 24 zones d’une heure, avec comme référence le méridien de Greenwich - appelé également « méridien zéro ». Ce système fut rapidement adopté par la plupart des pays du monde. Du moins en théorie.
La Terre a été divisée en 24 fuseaux horaires au départ du fuseau 0 au centre duquel se trouve le méridien de Greenwich. On observe que tous les pays du continent européen riverains de la Mer du Nord à l'exception des pays scandinaves, font partie du fuseau horaire de Greenwih qui correspond à l'heure UTC 0.
La Belgique, en tout cas, l’adopta puisque le fuseau horaire dont le méridien central était celui de Greenwich couvrait tous les pays européens riverains de la mer du Nord, à l’exception des pays scandinaves. En 1885, un arrêté royal fixa l’heure de Greenwich (GMT – Greenwich Mean Time) comme heure légale sur tout le territoire du royaume de Belgique. Ce système dura jusqu’en 1946, à l’exception des deux périodes d’occupation allemande. Les Français, bien que Paris se trouve pratiquement sur le méridien de Greenwich instaurent un décalage d’une heure (GMT + 1) comme heure légale.
Les Allemands durant l’occupation imposent l’heure d’été, c’est-à-dire l’heure de Berlin (à savoir GMT + 2) dans les territoires occupés. Il y eut donc l’annuel double changement d’heure comme nous le connaissons aujourd’hui.
Après la fin de la Seconde guerre mondiale, en 1946, l’heure de l’Europe occidentale continentale fut fixée à GMT + 1. C’est en 1974 que Valéry Giscard d’Estaing, frais élu président de la République française, obsédé par des réformes de toutes sortes qui étaient sensées faire rentrer la France dans l’ère « moderne » émit l’idée de l’introduction de l’heure d’été afin, prétendit-il, d’économiser de l’énergie – c’était l’époque de la première crise pétrolière ! C’est en 1977 que ce système fut introduit dans l’Europe des Neuf et se répandit petit à petit dans l’ensemble du monde.Valéry Giscard d'Estaing, président de la République française de 1974 à 1981, le surdoué libéral qui introduisit des réformes prétendument modernistes qui causèrent bien des difficultés.
Depuis lors, ce système a fonctionné vaille que vaille sans aucune modification. Pour des raisons astronomiques, il a été décidé en 1972 de passer de GMT à UTC (Universal Time Coordinated – Temps Universel Coordonné). En effet, grâce aux progrès technologiques, on ne mesurait plus le temps sur la base d’observations astronomiques, mais sur celle de l’heure atomique qui est bien plus précise. Cependant, régulièrement, il faut ajuster l’heure atomique avec l’heure astronomique, parce que cette dernière subit d’infimes irrégularités dues à des perturbations dans le mouvement de rotation de la Terre sur son axe et dans son mouvement de révolution autour du Soleil. En outre, il convient également de coordonner les horloges atomiques des différents observatoires dont celui de Belgique. De plus, il y a une différence entre UTC et GMT : la journée GMT commence à midi, alors que la journée UTC débute à 0 h 00.
Le château de carte du changement d’heure bisannuel s’effondre !
Cela a bougé en ce qui concerne le passage régulier heure d’été – heure d’hiver à partir de 2014. La Russie, puis la Turquie ont décidé d’en revenir à une seule heure, l’heure d’hiver.
Le changement d'heure a été introduit en URSS le 1er avril 1981. L'heure d'été débute le 1er avril et se termine le 1er octobre de chaque année, jusqu'en 1984, date à laquelle l'URSS adopte les règles de changement d'heure européennes, passant à l'heure d'été à 02:00 le dernier dimanche de mars en avançant d'une heure et revenant à l'heure d'hiver à 03:00 le dernier dimanche d'octobre (de septembre, jusqu'en 1995).
L'usage du changement d'heure a perduré après l'effondrement de l'Union soviétique mais fut officiellement abandonné par décision du président de la Fédération de Russie Dimitri Medvedev en février 2011. Moscou est donc resté quelques années à l'heure d'été de manière fixe avec un décalage UTC+4.
En juillet 2014, Vladimir Poutine a signé le passage définitif à l'heure d'hiver. Le 26 octobre 2014, l'heure russe a été reculée d'une heure, et le changement d'heure ne s'effectue plus. En plus, le nombre de fuseaux horaires repasse de 9 à 11 sur l’ensemble du territoire de la Russie.
Quant à la Turquie, À partir du 30 octobre 2016, ce pays vit à l’heure d’été… toute l’année. Fini le réglage des montres et des pendules deux fois par an, dorénavant on ne touche plus aux aiguilles. Adoubée en conseil des ministres, la décision a fait l’objet d’un arrêté publié le 8 septembre 2016 au Journal officiel. Il y a des raisons religieuses à l’adoption de cette mesure : l’heure d’été en Turquie est à l’unisson avec l’heure des Etats du Golfe et de l’Arabie saoudite. Les théologiens en rêvaient depuis longtemps. Désormais, les prières, les grandes fêtes religieuses, le lancement et la fin du ramadan auront lieu en même temps qu’à La Mecque et à Médine. Les nationalistes laïques, partisans de la grande Eurasie, eux, auraient voulu une union horaire avec la Russie.
Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, perplexe, ne sait pas très bien à quelle heure il doit partir...
Ces décisions unilatérales des deux grands pays limitrophes de ceux de l’Union européenne posa des problèmes de coordination d’horaires de transport. Aussi, la Commission européenne a organisé il y a trois ans via Internet une consultation sur le changement d’heure. Il en résulte qu’une large majorité souhaite sa suppression. Cependant quelle heure faudra-t-il adopter pour toute l’année ? Le Président de la Commission à l’époque, Jean-Claude Juncker opta pour le maintien de l’heure d’été toute l’année, ainsi que le Premier ministre belge Charles Michel, actuel président du Conseil européen.
Pour le retour à l’heure d’hiver toute l'année
Comme bien d’autres, au contraire, je plaide pour le retour à l’heure d’hiver comme c’était le cas avant 1977 et ce, pour plusieurs raisons.
L’heure d’été pour les pays arrosés par la Mer du Nord et l’Océan Atlantique a un décalage de 2 heures par rapport à l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich dite UTC. En réalité, la Belgique a un décalage réel d’environ 20 minutes par rapport à UTC. Donc, l’heure d’été est en avance de 1 h 20 min par rapport à UTC. En France, la ville de Perpignan (Pyrénées orientales) est située sur le méridien de Greenwich ; donc les villes de Saint-Jean de Luz, Biarritz, Bordeaux sont situées à l’Ouest de ce méridien et ont aussi un décalage de 1 heure en été ! C’est aussi le cas de la côte Nord-Ouest de l’Espagne. Et n’oublions pas la pointe occidentale de la Bretagne qui se termine à l’Ouest de la côte Sud de l’Angleterre !
Officiellement, on appelle l’heure d’été de l’acronyme CEST (Central European Summer Time), autrement dit l’heure d’été d’Europe centrale, c’est-à-dire celle de Berlin et l’heure d’hiver WET (Western European Time). En introduisant l’heure d’été pendant toute l’année, on s’alignera sur celle de la capitale germanique sans compter qu’ainsi, on maintient une absurdité sur le plan géographique. N’y a-t-il pas là une volonté politique d’instaurer une seule heure sur le territoire de l’Union européenne, heure qui est celle de Berlin. Cela passe mal pour bon nombre de citoyens des pays autrefois occupés par les Allemands.
En plus, l’heure d’été en saison hivernale à nos latitudes n’apporterait guère l’avantage d’une soirée claire plus longue. En effet, étant donné l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport au plan de l’écliptique, c’est-à-dire l’orbite apparente du Soleil durant la révolution annuelle de la Terre, les nuits sont plus longues en hiver. Ainsi, par exemple, si on applique l’heure d’été, le 15 novembre, le Soleil se lèvera à 8 h 57 et se couchera à 17 h 56. En fait la « longue soirée » désirée sera plutôt courte. Le 15 décembre, le lever du Soleil sera à 9 h 38 et son coucher à 17 h 37, enfin, le 15 janvier, lever 9 h 39, coucher 18 h 05 (référence : annuaire de l’Observatoire Royal de Belgique). L’heure d’été sera particulièrement désavantageuse en hiver : la journée éclairée commencera fort tard (entre 9 h et 9 h 40 à peu près) et la période nocturne ne commencera pas bien plus tard (environ entre 17 h 30 et 18 h).
Ce maintien de l’heure d’été aura en outre d’importantes conséquences sociales qu’on ne semble guère prendre en compte. Les premiers atteints sont les paysans qui doivent se lever plus tôt : la traite des vaches est réglée sur l’heure solaire et non sur l’heure conventionnelle des humains. Le maintien de ce décalage durant toute l’année provoquera de nombreux inconvénients. Les écoles commenceront les cours en hiver lorsqu’il fera encore nuit et la première récréation se déroulera dans le noir ou la pénombre ! Et n’oublions pas tous les travailleurs en pauses et ceux qui commencent tôt le matin pour nous rendre des services essentiels : les urgentistes dans les hôpitaux, les infirmières, les pompiers, les policiers, les éboueurs, les cheminots, les chauffeurs de poids lourds, les travailleurs des marchés matinaux et j’en passe. Sur le plan de la santé, cet obligatoire lever nocturne provoquera immanquablement des troubles aussi bien psychologiques que thérapeutiques. Notre « nouveau » monde n’en cause-t-il pas suffisamment ainsi ? Et tout cela pour l’illusion de longues soirées d’hiver à grelotter à la terrasse plutôt qu’à lire et aimer au coin du feu !
Les arguments avancés par les partisans de l’heure d’été comme le député Marc Tarabella sont avant tout hédonistes : le plaisir des longues soirées ensoleillées en été. Certes, c’est bien de s’occuper des couche-tard, encore faut-il ne pas oublier les lève-tôt qui, eux, n’apprécient pas beaucoup de commencer leur journée de travail dans la nuit ou la pénombre.
Après tout, à la réflexion, l’heure d’hiver toute l’année nous apportera plus de lumière que l’heure d’été.
Pierre Verhas
Source: https://uranopole.over-blog.com/2021/03/une-breve-histoire-de-l-heure-d-ete.html