Lettre ouverte - mai 2021
En raison de leur rôle majeur dans notre économie, les banques centrales ont un impact énorme sur la crise climatique. D’où le débat qui se mène aujourd’hui au sein de la Banque centrale européenne sur l'intégration de la question climatique dans sa politique. Cependant, notre propre Banque nationale semble freiner le changement. C’est pourquoi un appel est lancé par des organisations de la société civile pour l’inviter à changer de cap.
C’est peu dire que la situation climatique est sérieuse. Non seulement parce que les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus tangibles, mais aussi parce que le thème est devenu central dans l'agenda politique. Qui aurait pu s'attendre à ce que la Chine fixe l'année dernière des objectifs ambitieux? Et que les États-Unis lui emboîteraient le pas lors d'un sommet international sur le climat qu’ils avaient eux-mêmes organisé? Dans l'agenda économique également, le climat devient de plus en plus incontournable. Il y a un an, L'Union Européenne présentait son Green Deal. Plus ambitieux encore, le projet colossal d'investissement public de Joe Biden pour engager enfin l’économie américaine dans la réduction des émissions de carbone.
Le climat s’impose à l’agenda
La bataille est pourtant loin d'être gagnée. Les engagements et les plans sont encore pleins d'incertitudes. Nous ne savons pas encore si le plan d'investissement de Biden passera le Congrès en un seul morceau, et encore moins si ce plan suffira pour réduire significativement les émissions. La Chine parviendra-t-elle à maîtriser sa consommation de charbon? Et quand verra-t-on enfin les mesures de soutien suffisantes pour les pays du Sud ? Tout cela relève encore de la conjecture.
Ce qui est clair, c'est que le climat est en train de bousculer de nombreux dogmes. Malgré leur rivalité exacerbée, les États-Unis, l'Union européenne et la Chine acceptent de coopérer en matière d'investissements verts. Le président américain propose même de taxer davantage les entreprises et les très riches pour financer son plan d'investissement. Autant de pistes encore taboues il y a peu.
La Banque centrale européenne ne peut faire la sourde oreille
Entre-temps, la question climatique s'est également introduite à la Banque centrale européenne. Un débat interne est en cours sur la nécessité de prendre en compte le climat dans la politique monétaire. La décision est prévue pour cet été, et les conséquences seront cruciales pour la suite du débat.
La Banque centrale réalise actuellement un « stress test » climatique, dont la conclusion préliminaire est que les coûts économiques du réchauffement planétaire sont très élevés. Le vice-président Luis de Guindos a précisé que le meilleur moyen de minimiser ces coûts consiste à miser sur une transformation rapide de l'économie. Pour réaliser cette transformation économique, il faut que l'argent arrive au bon endroit. Nous avons pour cela absolument besoin de la BCE, car la politique monétaire a pris des proportions énormes ces dernières années et constitue donc un levier d’action essentiel. Grâce aux prêts qu'elle accorde aux banques privées et aux produits financiers qu'elle leur rachète, la BCE dispose de quelque 7 000 milliards d'euros dans son bilan, soit la moitié du PIB de la Zone euro, ce qui lui confère un poids considérable dans le jeu économique. Les gouverneurs des banques centrales française et néerlandaise, mais aussi Isabel Schnabel, l'une des membres du directoire de la BCE, ont déjà indiqué que le climat devait jouer un rôle dans la politique monétaire.
La Banque Nationale belge doit prendre ses responsabilités
Mais la grande question est de savoir si la Banque nationale, qui représente notre pays à la BCE, est prête à soutenir cette vision. Dans une interview récente, Pierre Wünsch, le gouverneur de la Banque nationale, s’abstenait encore de s'engager dans cette voie. Il ne voyait pas la nécessité d'intervenir. La main invisible du marché serait capable de gérer les risques climatiques par elle-même. Et s’il fallait intervenir, ce serait selon lui aux politiciens de le faire, pas à la Banque Centrale européenne. Contrairement à ses collègues gouverneurs mentionnés ci-dessus, il se cache ainsi derrière le principe de neutralité du marché, selon lequel on ne peut favoriser ou désavantager un secteur particulier par rapport aux autres.
Si de plus en plus de voix le demandent, le climat ne joue aujourd'hui encore aucun rôle dans la politique monétaire de la BCE. C’est ce qui a permis à la Banque Nationale de Belgique de racheter sans problème de nombreuses dettes de compagnies pétrolières et d'autres gros pollueurs. Sans qu’aucune condition ne soit exigée. C’est pour cette raison que l'ONG internationale ClientEarth a décidé de poursuivre la Banque nationale en justice, car ces pratiques sont contraires au mandat de la BCE. Non seulement parce que la protection de l'environnement fait partie de ce mandat, mais aussi parce que le réchauffement climatique entraîne un impact majeur sur la stabilité des prix. C’est précisément ce qui est mis en évidence par les conclusions préliminaires du stress test climatique de la BCE. Or, la stabilité des prix, c’est le « core business » de la BCE. En outre, l'argument le plus frappant de ClientEarth est peut-être que la neutralité du marché n'est mentionnée nulle part dans le mandat de la BCE.
Renoncer aux dogmes pour sauver la planète
Le débat sur le rôle des banques centrales dans la lutte contre le réchauffement climatique n'est pas un exercice académique gratuit. Le temps presse et l'impact de la BCE est trop important pour que nous restions sur la touche. C’est pourquoi nous demandons à la Banque Nationale de renoncer à ses dogmes. La voie sera alors ouverte pour utiliser l'énorme levier de la BCE afin de transférer des fonds vers une économie verte. Un pas important pour sauver notre maison à tous, notre planète.
Source: https://docs.google.com/document/d/1VvO3j7cOKs_0ZSR6hE4kbRJJ3X0CLC-P/edit