Vaccins : une querelle d’enfants gâtés
« La pandémie a aggravé le décalage Sud/Nord. Je vois le Nord s’éloigner, avec une certaine indifférence. Il suffit de se pencher sur l’inégalité en termes de couverture vaccinale des pays du Sud. »
Voilà les propos tenus à la séance solennelle de rentrée académique ce 17 septembre à l’Université Libre de Bruxelles par Madame Faouzia Charfi, Docteur d’Etat, professeur de physique à l’Université de Tunis, ancienne secrétaire d’Etat à l’éducation du gouvernement issu de la révolution tunisienne de 2011 et membre de l’Académie des arts, des lettres et de la science de Tunisie.
Devant de tels propos que penser de notre querelle européo centrée sur l’opportunité ou non du vaccin immunisant du COVID 19 ?
Depuis plusieurs semaines, un mouvement « antivax » manifeste un peu partout en Europe, de manière parfois violente en usant d’arguments « massues ». Tout y passe : la prétendue nocivité des vaccins administrés, les théories du complot les plus aberrantes, la compromission des gouvernements avec le lobby Big pharma, etc. Ce mouvement monte en puissance et a une influence sur la décision gouvernementale. En effet, nos gouvernements faibles en décision et forts en répression hésitent quant à une politique claire à prendre en matière de vaccination. Ils n’osent pas décréter la vaccination obligatoire et instaurent le « covid safe ticket » ou le « pass sanitaire ». Autrement dit, ils créent une discrimination entre vaccinés et non vaccinés. Résultat : cela ne fait que renforcer le mouvement « antivax » !
De plus, même des juristes éminents, des médecins pro-vaccins tirent la sonnette d’alarme au sujet de ce « pass ». Ils craignent que sa généralisation mène à une nouvelle restriction des libertés. Et on peut effectivement se poser des questions sur des méthodes de contrôles pour le moins curieuses. Cependant, encore fois, les comportements irrationnels l’emportent chez certains jusqu’à l’odieux. Porter l’étoile jaune comme signe de non-vaccination est inadmissible ! C’est une confusion des esprits qui peut mener aux pires excès ! Et le résultat est un renforcement du pouvoir !
On peut, si on veut, discuter sur le vaccin et sur son éventuelle nocivité par des effets secondaires indésirables. Le résultat est là : là où une proportion significative de la population est vaccinée, l’épidémie recule sensiblement.
Cependant, tout cela n’est-il pas querelle d’enfants gâtés ? On ne se penche guère sur les conséquences sociales de la pandémie. Les deux confinements en Belgique ont mis en évidence les terribles inégalités notamment dans le domaine du logement et de l’accès aux soins de santé. On a pu constater un phénomène passé inaperçu jusqu’alors : la précarité étudiante. Et aussi a-t-on mesuré l’impact des politiques restrictives qui ont duré deux décennies sur le système hospitalier ? Les hôpitaux ont été au bord de la saturation pendant la première vague épidémique. Et ce fut à peine mieux lors de la seconde vague.
En plus, chanter victoire aujourd’hui est aussi stupide qu’inopportun. Certes, dans la plupart des pays européens, la pandémie a diminué de manière significative, mais on oublie qu’un virus circule au-delà des mers et des frontières. Si dans une partie significative de l’Europe, la vaccination fait ses effets, c’est loin d’être le cas dans les pays du Tiers-monde et notamment dans le Sud méditerranéen comme le rappelle Faouzia Charfi. Or, c’est le simple bon sens qui doit dicter de massives campagnes de vaccination dans ces contrées si on veut réduire la pandémie à défaut de l’éradiquer. Mais là, aucun effort n’est consenti ! Dans l’esprit de ses dirigeants, la petite Europe est sans doute une île isolée dans l’Océan ! Et il ne faut pas oublier Big Pharma qui favorise systématiquement les pays riches dans la distribution des vaccins.
Une femme exceptionnelle !
Nous venons de l’évoquer dans le billet précédent. La professeure de physique expérimentale à l'Université de Tunis, ancienne secrétaire d'Etat à l'éducation du gouvernement issu de la révolution tunisienne de 2011, Faouzia Charfi est aujourd'hui à Bruxelles où elle a présidé lundi 20 septembre après-midi à l'Académie royale de Belgique le jury de la Fondation Henri Lafontaine qui a accordé son prix biennal à une école libre et laïque au Rwanda.
Faouzia Charfi est l'auteure d'un livre extraordinaire intitulé "La science voilée" (Odile Jacob, 2013) où elle raconte comment la science dans le monde arabe qui était très développée au Haut Moyen-âge a décliné à la suite de la domination du dogmatisme islamique. Elle met en parallèle avec le dogmatisme de l'Eglise catholique qui a persécuté Giordano Bruno et Galilée aux XVIe et XVIIe siècles. Elle vient de publier à la même maison d'édition, un ouvrage intitulé « L'Islam et la Science. En finir avec le compromis » qui est diffusé depuis mercredi en France.
Dans son discours, Faouzia Charfi a insisté sur la primauté de la méthode scientifique sur le dogmatisme qui revient en force sous plusieurs aspects. Méthode scientifique qui est un fondement de la pensée libre. Elle a également traité de la condition des femmes dans le monde arabo musulman surtout après la débâcle de Kaboul mais aussi en Occident, conditions menacées par les mêmes offensives dogmatiques.
Pierre Verhas
Bron: https://uranopole.over-blog.com/2021/09/morceaux-d-humeur-du-23-septembre-2021.html