Et Julian Assange ?
Les événements graves qui s’accumulent – épidémie de la Covid 19, guerre en Ukraine, tensions avec la Chine – nous font oublier le sort du journaliste australien enfermé depuis trois ans à la prison de Belmarsh – le Guantanamo britannique – à l’Est de Londres.
Pourtant, il s’en est passé des choses. En janvier dernier, Julian Assange passait devant la Haute Cour de Justice. Le Lord Chief Justice d’Angleterre et du Pays de Galles, Ian Duncan Burnett, a déclaré du haut de sa tribune que la question est de savoir si les « garanties diplomatiques » qui n’ont pas été soumises lors de l’audience de fond peuvent être soumises au stade de l’appel. La Cour a refusé à Julian Assange de faire appel devant la Cour suprême. En clair, c’est une des nombreuses bizarreries de la Justice britannique, la Haute Cour est habilitée à accepter ou refuser un recours auprès de la Cour suprême.
Rappelons la saga judiciaire qu’a vécu Julian Assange. Après avoir été expulsé de l’ambassade d’Equateur à Londres, il a été conduit à la prison de Belmarsch et a été condamné à 50 semaines de prison pour avoir échappé à la Justice britannique. Un procès en premier instance concernant son extradition demandée par les Etats-Unis présidée par la juge Baraitser a conduit à donner raison à la demande étatsunienne sur le fond, mais à refuser l’extradition pour raisons de santé. Le tribunal considérait qu’Assange ne supporterait pas le régime carcéral spécial imposé par les Etats-Unis aux personnes accusées d’espionnage. La partie étatsunienne a fait appel de cette décision. La cour d’appel a donné raison aux Américains. Aussi, Assange a fait un recours devant la Cour suprême britannique. La Haute Cour qui est une instance intermédiaire vient de refuser d’autoriser cet appel de Julian Assange qui croupit toujours à la prison de Belmarsh.
Voici ce qu’explique au site du « Grand Soir » Craig Murray, l’ancien diplomate britannique et ami de Julian Assange, qui a assisté à l’audience.
« … il est habituel que la Haute Cour refuse l’autorisation de faire appel ; avec la certification de l’intérêt public, Julian peut maintenant faire appel directement à la Cour suprême qui décidera ou non de statuer. Le refus d’autorisation par la Haute Cour est un pur signe de déférence envers la Cour suprême, Comme disent les avocats : “la Cour suprême dîne à la carte”.
Certains des points de l’appel que la Haute Cour a refusé de certifier comme défendables et d’intérêt public étaient importants. L’un d’entre eux était que les garanties diplomatiques données par les États-Unis promettaient de ne pas recourir à des pratiques illégales assimilables à de la torture, mais subordonnaient cette promesse au comportement futur d’Assange.
Or, le traitement illégal d’un prisonnier ne devient pas légal au motif que ledit prisonnier s’est mal comporté. Cela aurait dû être un argument irréfutable, sans parler du fait que la stratégie selon le comportement futur d’Assange serait décidée précisément par les mêmes autorités qui ont comploté pour l’enlever ou l’assassiner.
Tout cela n’a pas été certifié comme point de droit défendable d’intérêt public.
Ce qui est certifié et mis en avant est la simple question de savoir si les garanties diplomatiques ont été reçues trop tard. Etrangement, le jugement de Burnett et Holroyde reproche à la magistrate chargée de l’extradition, Vanessa Baraitser, de ne pas avoir demandé aux États-Unis des garanties diplomatiques à un stade plus précoce.
La doctrine selon laquelle un juge devrait suggérer aux avocats d’une des parties des points utiles pour renforcer leur dossier contre l’autre partie est entièrement nouvelle en droit anglais. Les États-Unis auraient pu soumettre leur note diplomatique à n’importe quelle étape de la procédure, mais ont choisi de ne pas le faire, afin de voir s’ils pouvaient s’en tirer sans prendre d’engagement quant au traitement d’Assange. Ils n’ont soumis une note diplomatique qu’après avoir perdu l’affaire initiale. Ce n’était pas à Baraitser de leur demander de le faire plus tôt, et cette suggestion est un ridicule plaidoyer de la part de Burnett.
C’est plus qu’un simple point de procédure. Si les garanties avaient été soumises au tribunal de première instance, leur valeur aurait pu être contestée par la défense d’Assange. Les conditionnalités auto-annulantes contenues dans les garanties elles-mêmes auraient pu être examinées, et le long passé des États-Unis en matière de rupture de telles garanties aurait pu être discuté.
En les introduisant seulement au stade de l’appel, les États-Unis ont échappé à tout examen de leur validité.
Cela a été confirmé par le jugement d’aujourd’hui. La question de l’acceptabilité de e n’étant pas un point d’appel défendable.
Ainsi, le point certifié, celui de savoir si les garanties peuvent être présentées au stade de l’appel, n’est pas seulement une question de calendrier et de délais, il s’agit de savoir si les garanties doivent être examinées ou non. »
L’establishment britannique veut se sortir de l’affaire Assange.
D’après Murray, l’establishment britannique tente par cette procédure de sortir de cette affaire. En attendant, Julian Assange a pris un billet pour une année de prison supplémentaire à Belsmarsh. En effet, en mars, la Cour suprême a refusé l’appel qui était fondé sur la santé de Julian Assange. Cela signifie que l’extradition est maintenant confiée au ministre de l’Intérieur du gouvernement conservateur de Boris Johnson. Si le ministre décrète l’extradition, l’affaire retourne au tribunal d’origine et à la juge Baraister. Alors, Assange, lui-même, pourra faire appel devant la Haute Cour et son appel portera sur les questions de fond pour lesquelles Baraister a initialement donné raison aux Etats-Unis. Et ces questions ne sont pas de la petite bière :
- l’utilisation abusive du traité d’extradition qui interdit spécifiquement l’extradition politique ;
- la violation de l’article 10 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’homme relatif à la liberté d’expression ;
- l’utilisation abusive de la loi américaine sur l’espionnage ;
- l’utilisation de preuves corrompues, payées par un fraudeur condamné qui a depuis reconnu publiquement que son témoignage était faux ;
- l’absence de fondement de l’accusation de piratage.
Cela signifie que pour la première fois, devant une instance supérieure, les questions de fond seront soulevées. Alors, on verra si la Haute Cour en tiendra compte sans céder aux pressions de la partie étatsunienne.
Voilà où on en est.
Le mariage de deux résistants
Il s’est passé une autre chose à la fois plus émouvante pour le journaliste et abominable par l’attitude de la Justice britannique. Julian Assange a convolé ! Une de ses avocates pendant son « exil » à l’ambassade d’Equateur, Stella Morris, est devenue sa compagne et a donné naissance à deux garçons. Depuis, elle mène une campagne sans relâche pour la libération de son compagnon. Ils ont décidé de se marier. Assange a dû demander l’autorisation des autorités pénitentiaires pour ce faire qui l’ont accordée mais sous des conditions drastiques. La cérémonie qui se déroulait dans la prison eut lieu le 24 mars dernier.
La censure des GAFAM a frappé !
Ajoutons que, à son tour, comme par hasard, il est arrivé une mésaventure à Chris Hedges. Youtube a effacé toutes ses publications vidéo. Il écrit :
Craig Murray a purgé huit mois de prison pour un motif ridicule et Chris Hedges s'est vu effacer toutes ses vidéos sur Youtube. Ils n'ont pu entrer dans la prison de Belmarsh pour assister à la cérémonie de mariage de Julian Assange avec Stella Morris.
« L’intégralité des archives d’On Contact, l’émission nominée aux Emmy Awards que j’ai animée pendant six ans pour RT America et RT International, a disparu de YouTube. L’interview avec Nathaniel Philbrick sur son livre sur George Washington a disparu. Disparue, la discussion avec Kai Bird sur sa biographie de J. Robert Oppenheimer. Disparue, mon exploration avec le professeur Sam Slote du Trinity College de Dublin sur "Ulysse" de James Joyce. Disparue, l’émission avec Benjamin Moser sur sa biographie de Susan Sontag. Disparue, l’émission avec Stephen Kinzer sur son livre sur John Foster Dulles et Allen Dulles. Disparus, les entretiens avec les critiques sociaux Cornel West, Tariq Ali, Noam Chomsky, Gerald Horne, Wendy Brown, Paul Street, Gabriel Rockwell, Naomi Wolff et Slavoj Zizek. Disparus, les entretiens avec les romanciers Russell Banks et Salar Abdoh. Disparue, l’interview de Kevin Sharp, ancien juge fédéral, sur le cas de Leonard Peltier. Disparus, les entretiens avec les économistes David Harvey et Richard Wolff. Disparus, les entretiens avec les vétérans et diplômés de West Point Danny Sjursen et Eric Edstrom sur nos guerres au Moyen-Orient. Disparues, les discussions avec les journalistes Glenn Greenwald et Matt Taibbi. Disparues, les voix de ceux qui sont persécutés et marginalisés, notamment l’avocat des droits de l’homme Steven Donziger et le prisonnier politique Mumia Abu Jamal. Aucune des émissions que j’ai réalisées sur l’incarcération de masse, où j’interviewais des personnes libérées de nos prisons, n’est plus présente sur YouTube. Les émissions avec les caricaturistes Joe Sacco et Dwayne Booth ont disparu. Ils ont fondu dans l’air, sans laisser un seul support derrière eux. »
C’est une œuvre de premier ordre qui, soudain, n’est plus accessible au public ! Bien entendu, Hedges n’a reçu aucune notification de cette censure. En colère, le grand journaliste ajoute :
« Quels étaient mes péchés ? À la différence de mon ancien employeur, le New York Times, je ne vous ai pas vendu le mensonge des armes de destruction massive en Irak, je n’ai pas colporté de théories du complot selon lesquelles Donald Trump serait un agent russe, je n’ai pas diffusé un podcast en dix parties intitulé "Le Califat", qui était un canular, et je ne vous ai pas dit que le contenu de l’ordinateur portable de Hunter Biden était de la "désinformation". Je n’ai pas prophétisé que Joe Biden était le prochain Roosevelt ou qu’Hillary Clinton allait gagner les élections.
Cette censure consiste à soutenir ce que, comme nous l’a rappelé I.F Stone, les gouvernements font toujours : mentir. Contestez le mensonge officiel, comme je l’ai souvent fait, et vous deviendrez rapidement invisibles sur les médias numériques. Julian Assange et Edward Snowden ont exposé la vérité sur les rouages criminels du pouvoir. Regardez où ils sont maintenant. Entre l’aérographe de Joseph Staline - qui effaçait des photographies officielles les personnes qui n’en faisaient pas partie, comme Léon Trotski - et cette censure il n’y a plus qu’un pas. C’est une destruction de notre mémoire collective. Elle supprime les efforts pour examiner notre réalité d’une manière que la classe dirigeante n’apprécie pas. Le but est d’encourager l’amnésie historique. Si nous ne connaissons pas le passé, nous ne pouvons comprendre le présent.
"A partir du moment où nous n’avons plus de presse libre, tout peut arriver", avait prévenu Hannah Arendt. "Ce qui rend possible le règne d’une dictature totalitaire ou de toute autre dictature, c’est que les gens ne sont pas informés ; comment pouvez-vous avoir une opinion si vous n’êtes pas informé ? Si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, par leur nature même, doivent être modifiés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. Le destinataire ne se contente pas d’un seul mensonge - un mensonge qui pourrait durer jusqu’à la fin de ses jours - mais il reçoit un grand nombre de mensonges, selon la direction du vent politique. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se décider. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez. (…)
La guerre en Ukraine, que j’ai dénoncée comme une "guerre d’agression criminelle" dès son début dans le billet "War is the Greatest Evil" sur ScheerPost, en est un exemple frappant. Tout effort pour la replacer dans un contexte historique, pour suggérer que la trahison des accords entre l’Occident et Moscou, que j’ai couverte en tant que reporter en Europe de l’Est lors de l’effondrement de l’Union soviétique, ainsi que l’expansion de l’OTAN pourraient avoir attiré la Russie dans le conflit, est rejeté. Nuance. Complexité. Ambiguïté. Contexte historique. L’autocritique. Tous sont rejetés. »
Qui contrôle le présent contrôle le passé…
Rappelons-nous George Orwell : « Qui contrôle le présent, contrôle le passé, qui contrôle le passé contrôle l’avenir ». Tout peut arriver disait Hannah Arendt. Oui, l’Occident, c’est-à-dire les Etats-Unis et son vassal l’Union européenne, évolue de plus en plus vers un régime totalitaire. Le drame de l’Ukraine nous le montre. Des actes comme la censure de Chris Hedges et d’autres sont non seulement inadmissibles, mais aussi inquiétants. N’oublions pas que Madame von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, vient d’autoriser les Etats-Unis d’avoir le contrôle sur les données relatives à chaque citoyen d’un pays européen qui pourrait être soupçonné de terrorisme ou d’éloge d’actions terroristes. Question subsidiaire : Madame Ursula von der Leyen n’outrepasse-t-elle pas ses compétences ?
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen outrepasse ses pouvoirs pendant cette guerre en Ukraine.
Ainsi, le mariage de Julian Assange avec Stella Morris montre que l’amour est une arme qui peut être redoutable, même s’il fut saboté par ses géôliers. Il est un acte de résistance et plus que probablement, Chris Hedges a subi cette censure et Craig Murray huit mois d’emprisonnement parce qu’ils participent à la même résistance pour la liberté et la solidarité.
Le combat continue !
Pierre Verhas
Source: https://uranopole.over-blog.com/2022/04/et-julian-assange.html