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Guerre en Ukraine : la ligne de crête

Dans une longue interview au « Figaro » du 20 février, l’ancien ministre des affaires étrangères français Hubert Védrine procède à une fine analyse de la guerre en Ukraine un an après.

Védrine refuse d’entrer dans la logique de « l’occident vainqueur ». S’il donne raison à Macron lorsqu’il affirme que « l’agression russe doit échouer », il avertit cependant : « Face à la menace d’une offensive russe massive qui risquerait de submerger les forces ukrainiennes, il y aurait une logique dissuasive à élever le mur de défense ukrainien. » L’ancien ministre français des affaires étrangères approuve donc l’envoi de chars de combat, mais, dit-il, « il faut garder le contrôle de l’engrenage et définir l’usage des armes déjà fournies ou à venirNous sommes des démocraties : nos positions doivent être tenables durablement, donc expliquées et convaincantes. Tout faire pour que Poutine ne puisse pas gagner en Ukraine, mais ne pas se laisser entraîner dans une confrontation directe avec la Russie. » Et il ajoute plus loin : « Nous sommes maintenant dans une forme extrême de soutien qui n’est pas de la cobelligérance. » 

Hubert Védrine s’inscrit dans une logique de pacification. Il veut calmer le jeu. D’un côté, la Russie ne peut pas gagner, mais l’occident non plus. Il le dit fermement : « Quel dirigeant occidental va assumer de fournir des armes pour attaquer la Russie ? Pas Biden, en tout cas. Mais qui assumerait de laisser Poutine réussir son offensive militaire ? Personne. Nous devons donc maintenir, voire accroître notre soutien à l’Ukraine pour empêcher Poutine de gagner, ce qui passe d’urgence par plus de munitions. Tout en gardant le contrôle de la suite. »

La ligne de crête

Ce jeu d’équilibriste est pour le moins hasardeux. Nul ne peut dire ce qu’il va se passer en cas d’offensive massive de la Russie ! Nul ne peut d’ailleurs affirmer qu’elle aura lieu ou non ! Le hasard de la guerre est là : tout peut arriver ! Védrine affirme justement que nous sommes sur une « ligne de crête », c’est-à-dire qu’on peut tomber d’un côté comme de l’autre. Les déclarations matamoresques dans les deux camps n’arrangent rien. Lorsque Zelenski réclame des missiles à longue portée et des avions de chasse, il montre clairement sa volonté d’attaquer la Russie. Espérons que les occidentaux ne céderont pas à cette demande ! Poutine qui suspend le traité New Start de limitation des armements nucléaires et d’interdiction des essais place le monde sur une voie très dangereuse quand on voit en plus la folle attitude du dictateur de la Corée du Nord et la grave tension en mer de Chine. 

Alors, y a-t-il un équilibre des forces ? Militairement, l’Ukraine est bien plus faible que la Russie. Sans une intervention massive de l’OTAN en livraison d’armements et en « conseillers », l’Ukraine ne pourra résister indéfiniment. Mais les Russes ne peuvent gagner non plus, car la force des armes ne suffit pas. Une guerre ne se conclut en définitive sans vainqueurs ni vaincus, mais par un compromis acceptable pour les deux parties. Ce serait la seule solution réaliste et aussi honorable pour les deux parties, mais très difficile à mettre en œuvre : encore la ligne de crête !

Guerre de civilisation ?

Aussi, Hubert Védrine a raison de refuser l’inscription de ce conflit dans le contexte d’une « guerre de civilisation ». Souvenons-nous : le fameux ouvrage de Samuel Huntington « Le choc des civilisations » (voir « Uranopole » 2009 : https://uranopole.over-blog.com/article-30627250.html ) tendant à expliquer que les guerres étatsuniennes en Afghanistan et en Irak relevaient d’un choc entre l’occident et l’islamisme. On a vu le résultat ! Dans le même ouvrage, il prévoyait un choc entre la Chine et le même occident. On y est presque ! Et aujourd’hui, on ressert le même plat avec la guerre en Ukraine. 

Védrine avertit : « Le manichéisme est toujours tentant, mais ne rendons pas les choses plus insolubles qu’elles ne le sont. C’est une guerre pour un territoire : qui contrôle l’Ukraine et notamment l’Est ? » Et il poursuit : « Je ne crois pas que nous soyons dans une guerre générale de civilisations, démocraties contre autocraties, et j’espère que cela ne va pas le devenir, à force de le proclamer, car, si ça le devenait, il n’est pas sûr que l’Occident gagne à la fin ! »

Isolement de l’occident par les deux tiers de l’humanité

L’ancien ministre français appelle d’ailleurs à plus de réalisme : « N’oublions pas que nous n’avons plus le monopole de la puissance, ni de l’influence. Voyez à l’ONU : une quarantaine de pays n’ont pas condamné Poutine et n’ont pas voulu se ranger dans le camp occidental, dont l’Inde, une démocratie. Ils représentent les deux tiers de l’humanité ! »

Nos démocraties sont d’ailleurs bien malades. Deux éléments : le succès de plus en plus grand de ce qu’on appelle le populisme, euphémisme pour désigner l’extrême-droite qui, d’ailleurs, pèse sur la société. Il suffit de voir comment les forces de l’ordre deviennent de plus en plus répressives, comment, rien qu’en Belgique, on traite les réfugiés. L’extrême-droite est au pouvoir en Italie, en Hongrie, au Danemark, en Suède. Elle risque de revenir en Belgique l’année prochaine et le Rassemblement National en France ne cesse de progresser. Le second élément est le taux d’abstention de plus en plus important à chaque élection. Il y a un désintérêt grandissant pour la chose publique. Tout cela ne contribue pas à renforcer la position de « l’occident » !

Hubert Védrine le constate d’ailleurs : « Les démocraties représentatives, qui souffrent de la désaffection de leurs peuples, ce qui se traduit par la vague populiste, se ressoudent en se redécouvrant le camp du bien. Et c’est vrai que cette guerre est atroce. Mais, si nous faisons de cette guerre en Ukraine une guerre de civilisation, voire de religion, Occident vs Russie, etc., il n’y aura jamais de solution. Quand l’Occident se grise, il défend mal ses intérêts. Je n’achète pas cette rhétorique. Je suis pour une approche plus chirurgicale, plus réaliste, plus froide, qui, dans l’immédiat, doit faire échouer le recours à la force, mais qui prépare l’avenir. »

L’ancien ministre dénonce aussi le recours à la conférence de Munich de 1938 pour attaquer tous ceux qui montrent un esprit critique. « Il ne s’est pas passé une année en Occident sans qu’on dénonce un « nouveau Munich » ou un « nouvel Hitler », ce sont des catharsis historiques rétroactives qui n’offrent pas l’ombre d’une solution. (…) Il y a souvent dans le moralisme proclamé une forme de cynisme. (…) « En finir avec Poutine ? » Aucun responsable ne dira cela et aucun Parlement ne le voterait. Faire plus pour défendre l’Ukraine ? Oui. »

Analyser à long terme.

Le diplomate français prône une vision à long terme de ce conflit. « C’est sur trente ans de 1992 à 2023 qu’il faut raisonner. Or, dans les dix à quinze première années après la fin de l’URSS, ce sont d’abord des réalistes américains, vétérans de la guerre froide, Kissinger en tête, mais aussi George Kennan ou encore Jack Matlock (ex-ambassadeur américain à Moscou, qui disait qu’on ne peut pas à la fois étendre l’OTAN et avoir une Russie démocratique) John Mearhelmer et même Zbig Brzenzinski, qui n’avaient aucune complaisance pour le régime russe, encore moins pour Poutine, qui ont mis en garde contre le triomphalisme aveugle des Etats-Unis. Kissinger l’a dit plusieurs fois : on a eu tort de ne pas mieux intégrer la Russie dans un ensemble de sécurité en Europe, et ce pour des raisons de sécurité, car, sinon, elle pouvait redevenir dangereuse. Ces réalistes pensaient à la sécurité de l’Europe long terme. (….) » Il ajoute d’ailleurs : « Et d’ailleurs, ils n’ont jamais demandé à ce qu’on change la cible des missiles nucléaires. Obama a eu tort de dire que la Russie était devenue une puissance régionale, donc négligeable. L’accord d’association Europe – Ukraine, conçu sous influence polonaise, coupait économiquement l’Est de l’Ukraine de la Russie. C’était une provocation grave qui a eu des effets désastreux. » 

Et puis, les occidentaux ont agi de manière hypocrite avec la Russie. « Entre 1992 et 2017, on a donné de la verroterie diplomatique à la Russie tout en faisant avancer l’OTAN. On dit que la politique réaliste avec la Russie a échoué, mais en réalité elle n’a jamais été mise en œuvre. » Selon Védrine, il aurait fallu faire de l’Ukraine, dès le début des années 1990, un pays neutre à la finlandaise, militairement lié ni à la Russie ni à l’OTAN, avec en contrepartie des garanties de sécurité croisées, une autonomie du Donbass et un traité avec la Russie sur Sébastopol. 

Rappelons que Sébastopol est essentiel pour l'immense Russie : il est le seul port donnant accès aux mers chaudes.

Rappelons-nous les événements.

En 1991, Gorbatchev est « convoqué » au G7 de qui se déroule à Londres. Là, il lui est imposé de mener une politique ultralibérale brutale qui lui interdit de réaliser son plan de passage en douceur du régime soviétique à une social-démocratie à la suédoise. Cette politique ultralibérale provoque la montée de l’oligarchie qui prend la place de la nomenklatura avec souvent les mêmes personnages. 

En 1992, Gorbatchev est renversé par Eltsine qui est l’homme des oligarques. Celui-ci tente néanmoins avec Clinton d’éviter une extension de l’OTAN à l’Est et de ne pas reconstituer les blocs. Ce sera en vain. La dissolution de l’URSS amena l’indépendance de l’Ukraine et de la Belarus ou Biélorussie. Le statut de ces deux nouveaux Etats fut indéterminé. La Belarus fut très vite une dictature proche de Moscou, tandis que l’Ukraine – pour des raisons économiques évidentes – se rapprocha peu à peu de l’Union européenne, oubliant la question des russophones du Donbass qui est un foyer de tensions dont Moscou tente de tirer profit. 

Lorsque Poutine arriva au pouvoir, il mit incontestablement de l’ordre dans l’économie russe. Cependant, il devint rapidement un autocrate qui élimina ou emprisonna ses opposants. Il acheva dans des conditions atroces la guerre en Tchétchénie engagée par son prédécesseur. De son côté, l’occident tenta de l’isoler, ce qui renforça sa détermination nationaliste. Les blocs étaient reconstitués.

La situation de l'Ukraine, entre la Russie et l'Union européenne, devient difficile dès 2004 avec la révolution orange suscitée par les Américains, marquant l'opposition entre deux parties de la société, celle majoritairement pro-européenne et occidentale (surtout à l'ouest du pays) et celle russophile (surtout à l'est du pays). La difficile élection du candidat pro-européen Viktor Iouchtchenko marque le début de relations tendues avec la Russie. Des tensions relatives aux conflits gaziers russo-ukrainiens éclatent dès 2006.

En 2010 le pro-russe Viktor Ianoukovytch est élu président, mais le courant pro-européen et occidental persiste. À la suite du refus du gouvernement de signer des accords de libre-échange avec l'Union européenne, le renforcement du mouvement Euromaïdan provoque un renversement du pouvoir. La révolution dénommée révolution de Maïdan, mouvement soutenu par les Américains est en réalité un coup d’Etat qui eut lieu entre le 18 et le 23 février 2014, lorsque des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l'État éclatent dans la capitale ukrainienne, Kiev, aboutissant à la destitution par le Parlement du président élu et au retour à la Constitution de 2004. Très rapidement, une crise éclate entre les territoires majoritairement russophones du sud-est du pays et le nouveau pouvoir central de Kiev. 

Le 11 mars 2014, la Crimée proclame son indépendance, puis à la suite d'un référendum est rattachée à la fédération de Russie le 18 mars. Ce référendum et le rattachement qui a suivi ont été condamnés par l'Ukraine et une large part de la communauté internationale. Ainsi, le 27 mars 2014, l'Assemblée générale de l'ONU a voté la résolution 68/262 sur « l'intégrité territoriale de l'Ukraine », la majorité des pays condamnant le rattachement de la Crimée à la Russie : 100 pays dont les États-Unis et l'UE. Cependant, on observe déjà que plusieurs pays du Tiers-monde ne suivent pas le point de vue occidental.

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Une guerre civile, dite guerre du Donbass, éclate ensuite dans l'est de l'Ukraine majoritairement russophone, qui entraîne plus de dix mille morts. Le conflit majeur avec Moscou était dès lors inéluctable.

Tout, dès lors, confirme ce qu’explique Hubert Védrine.

Cela n’empêche que la décision de Poutine de déclencher la prétendue « opération militaire spéciale » le 23 février 2022 est aussi criminelle qu’aberrante et ne mènera sans doute à rien, sinon à des massacres et des destructions de part et d’autre. La stratégie de la tension est l’apanage de l’occident comme de Moscou. L’entretien de la guerre par l’envoi massif d’armes lourdes à l’Ukraine, le refus obstiné d’un cessez-le-feu, la propagande de guerre de part et d’autre qui ne fait qu’accroître les tensions sont aussi des aberrations. Quand cette folie va-t-elle finir ?

Une chance pour la paix ?

La Chine vient de déposer ce qu’elle appelle un plan de paix en douze points. Néanmoins, à la lecture de ce document, on se pose des questions. Par exemple, le premier point est relatif au respect de la souveraineté. Que signifie ? S’agit-il de la souveraineté de l’Ukraine avant l’occupation du Donbass ? Ou s’agit-il de la situation militaire actuelle avec un Donbass rattaché à la Russie ? Quid de la Crimée qui, nous l’avons déjà écrit, semble être l’enjeu principal de cette guerre ? Par contre, le point relatif au nucléaire est intéressant : l’escalade sur le nucléaire par la dénonciation du traité START par Poutine est très dangereuse et là, les Chinois veulent calmer le jeu. Nous en reparlerons, car c’est un aspect important de ce conflit qui est en définitive très complexe.

Nous laisserons la conclusion à Edgar Morin, le philosophe sociologue centenaire qui, dans son petit ouvrage « De guerre en guerre – De 1940 à l’Ukraine » (éditions de l’aube, Paris, 2023) écrit :

« Le caractère remarquable de l’hystérie de guerre et des certitudes intolérantes qu’elle suscite depuis les débuts de la guerre d’Ukraine en France, c’est que nous demeurons toutefois en paix, sans courir de risque mortel, et que nous voulons y rester, tout en étant des va-t-en-guerre jusqu’au-boutistes par Ukrainiens interposés. »

Pas seulement en France, Monsieur Morin, toute l’Union européenne…

Pierre Verhas

Post-scriptum 

À qui profite la guerre ? 

Dans une interview au quotidien économique belge « l’Echo » du 1er mars 2023, le Président de la Banque Européenne d’Investissement (BEI, une banque d’investissement de l’Union européenne qui est le plus grand prêteur multilatéral mondial, lève chaque année entre 70 et 100 milliards d’Euros sur le marché à un taux avantageux grâce à ses actionnaires étatiques et sa note triple A, comme quoi une banque publique, cela sert à quelque-chose…), M. Werner Hoyer « est persuadé que si l’Europe attend la paix pour financer la reconstruction du pays dévasté par l’invasion russe, le prix à payer sera plus élevé pour les Ukrainiens comme pour les Européens. » Il estime que le potentiel ukrainien est énorme : « Il y a, en Ukraine, un niveau de compétence dans le numérique dont les entreprises en Allemagne ne peuvent que rêver. » Il faut ajouter que la BEI détient déjà un portefeuille de projets de 7,3 milliards d’Euros en Ukraine dans des infrastructures électriques, hospitalières, scolaires et de fourniture d’eau. M. Hoyer négocie déjà avec la Commission européenne la création d’un fonds souverain européen pour ce faire. 

Cependant, il ne faut surtout pas attendre la fin de la guerre pour mettre tout cela en place. Comme quoi, les financiers ne perdent pas le Nord. Et, après tout, ce ne serait pas une mauvaise chose. Cependant, une fois de plus, cela ne doit pas se faire unilatéralement, sinon les conditions de la guerre seraient une fois de plus relancées…

P.V.

Bron:  https://uranopole.over-blog.com