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Adopté par l’ensemble des États de l’ONU au Sommet Mondial de 2005, le concept de responsabilité de protéger (R2p) continue à faire l’objet de débats contradictoires à l’ONU. Ce concept introduit une double responsabilité : celle, première, de l’État dans la protection de ses populations, qu’il s’agisse ou non de ses ressortissants ; celle, subsidiaire de la communauté internationale lorsque l’État est défaillant.

Rappelons que le concept, né des travaux de la Commission internationale indépendante de l’intervention et la souveraineté des États (CIISE) après les génocides du Rwanda et de la Bosnie, vise à empêcher les crimes de masse dans quatre cas : génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et nettoyage ethnique. Le concept se décline en trois volets : la prévention, l’intervention et la reconstruction. En 2009, le Secrétaire général de l’ONU a proposé son articulation en trois piliers :

1. la responsabilité première de l’État pour protéger l’ensemble de sa population ;
2. la coopération internationale et l’assistance aux États, notamment pour renforcer leurs capacités ;
3. la possibilité pour la communauté internationale d’intervenir, par des moyens non-coercitifs (chapitres VI et VIII de la Charte) ou coercitifs, si nécessaire, avec l’accord du Conseil de sécurité (chapitre VII).
 
Un consensus fragile

Bien que tous les États l’aient accepté et qu’il ait été à six reprises utilisé comme référence par le Conseil de sécurité, ce concept fait l’objet d’un consensus fragile. Certains États, particulièrement attachés à leur souveraineté, craignent qu’il ne fasse l’objet d’une interprétation extensive et ne serve à la propension des grandes puissances à intervenir dans les affaires d’États plus faibles. Les récentes interventions en Côte d’Ivoire et en Libye ont donné un relief particulier à cette question, au risque d’occulter les discussions sur d’autres aspects tout aussi importants.

L’objet de cet article est de faire le point sur les différents points de vue s’exprimant à l’ONU et d’identifier les principaux enjeux pour la paix et la sécurité.
 
Actualité des débats

Une nouvelle forme du droit d’ingérence ?

Sans surprise, les débats les plus animés portent sur l’utilisation de moyens coercitifs notamment l’utilisation de la force militaire pour pallier l’inaction d’un État défaillant.
La mise en œuvre de la résolution 1973 autorisant l’emploi de la force pour protéger la population libyenne a ainsi provoqué des critiques virulentes de la part des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Ils ont accusé l’OTAN d’avoir outrepassé son mandat et transformé une opération de protection des populations en opération de changement de régime. De fait, à partir du moment où la résolution permettait une intervention de protection sur l’ensemble du territoire libyen et où « l’agresseur » était le chef de l’État  lui-même, la frontière entre les deux opérations était facilement brouillée.
Le même raisonnement a longtemps conduit la Russie et la Chine à refuser toute mesure coercitive, y compris non militaire, à l’encontre du régime de Bachar Al-Assad.

Faut-il des critères pour encadrer le recours à la force?

Dans son rapport remis en 2001, la Commission internationale pour l’intervention et la souveraineté de l’État avait proposé cinq critères devant guider la décision du Conseil de sécurité pour recourir à la force : juste cause ; bonne intention ; dernier recours ; proportionnalité des moyens ; perspectives raisonnables de réussite. Ces critères – largement inspirés des critères traditionnels de la « guerre juste »  - n’ont pas réuni le consensus des chefs d’État réunis au Sommet mondial de 2005.

Le débat s’est néanmoins poursuivi et a été ré-ouvert par le Brésil. Celui-ci a déposé en novembre 2011 un document de réflexion à partir duquel ont été organisées plusieurs réunions informelles de concertation, dont un large débat tenu à l’ONU le 21 février dernier. Ce document  propose de compléter le concept par la notion de « responsabilité en protégeant ». Il suggère entre autres de revenir sur le critère de proportionnalité des moyens et de perspective raisonnable d’obtenir un effet positif « l’usage de la force doit produire aussi peu de violence et d’instabilité que possible et en aucun cas ne doit aggraver la situation ». Le Brésil insiste également pour que le recours à la force n’intervienne qu’en dernier recours.

La nécessité d’encadrer le recours à la force par des critères stricts reçoit l’appui de nombreux pays : les BRIC bien entendu qui y voient une façon de limiter toute ingérence, mais aussi d’autres pays comme le Chili, le Maroc, l’Indonésie et des pays traditionnellement réticents à employer la force armée.

Parmi les défenseurs des critères d’intervention, il convient de mentionner plus spécifiquement l’Australie. Gareth Evans, ex-ministre des affaires étrangères, fondateur de l’international Crisis Group, coprésident actuel du Centre Mondial pour la responsabilité de protéger et co-auteur du rapport du 2001, y voit une façon de renforcer le consensus autour de la R2p. Il reconnaît cependant que certains critères sont plus difficiles que d’autres à préciser, telle la notion de « juste cause » et propose d’interpréter ces principes de façon réaliste. Ainsi la notion de « dernier recours » selon lui doit être entendue non comme le résultat d’une séquence chronologique – tous les autres efforts ayant effectivement échoué -  mais plutôt comme résultant de la conviction raisonnable que toute autre mesure moins coercitive serait inefficace. En revanche l’Argentine, le Guatemala, l’Égypte insistent sur la nécessité d’épuiser d’abord tous les moyens non coercitifs avant de recourir à la force.

L’Union européenne et ses États membres, notamment la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, se montrent hostiles à toute liste de critères. Ils y voient une possibilité de blocage de toute décision au Conseil de sécurité et donc un risque de différer indéfiniment l’action. Ces pays considèrent en outre qu’il n’y a pas de raison d’introduire d’autres critères pour le recours à la force que ceux qui sont déjà prévus dans la Charte des Nations unies. Cela reviendrait à établir deux séries de critères différents pour l’utilisation de la force, selon qu’une opération soit lancée par référence à la responsabilité de protéger ou pour une atteinte à la paix et à la sécurité internationales.

Faut-il revoir les modes de travail du Conseil de sécurité?

Mécontent de la façon dont s’est déroulée l’opération « Unified Protector » en Libye, le Brésil, dans son document de réflexion, propose d’instaurer un mécanisme de surveillance et d’évaluation de la mise en œuvre du recours à la force autorisé par le Conseil. Il a reçu l’appui des autres membres des BRIC mais aussi de la Corée et, en général, des pays qui reprochent au Conseil de sécurité son manque de transparence.

La proposition brésilienne est partiellement soutenue par l’Australie. Pour Gareth Evans la mise en place d’un mécanisme de « monitoring and review » devrait permettre de tenir informés de la mise en œuvre opérationnelle de la R2p,  l’ensemble des membres du Conseil de sécurité. Il préconise d’informer systématiquement les membres du Conseil de sécurité sur le concept d’opération tout en reconnaissant la nécessité de ne pas tomber dans l micro-management d’une opération militaire. Cela permettrait selon lui d’éviter les critiques à posteriori de certains choix, renforcerait la légitimité de l’opération ainsi que le consensus autour du concept de R2p.

Quelle priorité accorder à chacun des trois domaines de la R2p?

Pour les pays moins crispés par les questions de recours à la force, notamment la France et le Royaume-Uni, le consensus autour de la R2p sera d’autant plus fort si le concept reste « équilibré ». Cela qui implique que les trois volets (prévention, action et reconstruction)  progressent parallèlement.

L’Allemagne est traditionnellement peu encline aux opérations militaires. Elle insiste sur le volet préventif : l’aide au développement,  le renforcement des capacités des organisations régionales, le soutien aux acteurs de la société civile ou du secteur de sécurité sont, selon elle,  autant de moyens de prévenir les atrocités de masse. Berlin souligne également l’importance du volet post-crise d’une opération et des opérations de reconstruction, sans pour autant être très explicite sur ce dernier point. 

La France de son côté, sans s’interdire l’utilisation de la force en dernier recours, insiste sur la nécessité de tirer parti de tous les moyens de coercition pacifiques: embargos, pressions diplomatiques, sanctions et poursuites pénales notamment. Concernant ce dernier point, elle souligne particulièrement l’importance du rôle de la Cour pénale internationale et la nécessité de développer un large consensus autour de la lutte contre l’impunité.

Faut-il élargir le concept de R2p au-delà des crimes de masse?

Certains États – Mexique, Guatemala – ont suggéré d’étendre le concept aux catastrophes naturelles, aux pandémies et à la lutte contre le crime organisé. Leurs propositions ont reçu peu d’échos, les autres États jugeant qu’une extension du périmètre de la R2p risquait d’en affaiblir la portée. En effet l’intérêt du concept est de porter sur les « atrocités de masse » et de lier clairement ce concept à la lutte contre l’impunité de l’État.

Quels enjeux pour la sécurité internationale?

Renforcer la protection des civils

La chaleur des débats à l’ONU, tant du côté des « amis de la responsabilité de protéger » que du  côté des sceptiques,  témoigne à elle seule de l’importance du sujet. Il s’agit en effet de trouver une issue au débat sur les droit et devoir d’ingérence, sans remettre en cause la souveraineté de l’État. A défaut d’être une nouvelle norme juridique, le concept R2p rappelle les États à leurs responsabilités concernant la protection des civils. Il est d’ailleurs significatif de noter que les résolutions 1674 (2006) et 1894 (2009,) portant sur la protection des civils dans les conflits, se réfèrent explicitement au concept de R2p.

Lutter contre l’impunité 

Le concept de R2p participe également de la lutte contre l’impunité. Rappelons à ce sujet qu’avant la résolution 1973 autorisant l’emploi de la force, la résolution 1970 du Conseil de sécurité renvoyait la situation en Libye devant la Cour pénale Internationale (CPI) en se référant déjà au concept de R2p. Désormais les chefs d’État,  ne sont plus à l’abri de poursuites lorsqu’ils se rendent coupables d’atrocités de masse, comme en témoigne le mandat d’arrêt pour génocide lancé par la CPI le 12 juillet 2010 contre le président soudanais Omar Al Bachir.

Renforcer la prévention et la reconstruction 

Le concept de R2p se présente comme un concept équilibré, associant prévention et reconstruction. Mais il faut bien constater que ces deux volets sont loin de retenir autant l’attention de la communauté internationale que le volet « intervention ». Ils sont en effet plus difficiles à identifier, dans la mesure où les instruments utilisés – aide au développement, renforcement de l’État de droit, coopération avec la société civile, réforme du secteur de sécurité, formation dans le domaine de la justice et des médias....- servent de nombreux autres objectifs et peuvent être justifiés par eux-mêmes, sans référence au concept de R2p. Ils sont également moins visibles politiquement.
Il n’empêche que ces deux volets sont essentiels pour préserver la légitimité de la R2p et renforcer le consensus des États à son sujet.

Renforcer le soutien des organisations régionales

Comme pour tout concept s’ingérant dans les affaires intérieures d’un État, le concept de R2p provoque la méfiance de nombreux États du Sud qui soulignent, à juste titre, le caractère inégalitaire du système international et l’obsolescence de la composition du Conseil de sécurité. Ces critiques sont légitimes mais de leur côté les organisations régionales de sécurité pourraient s’emparer du concept pour le faire évoluer dans un sens davantage conforme à leurs intérêts, de façon à limiter autant que possible les possibilités d’intervention par la force. 

Il faut soutenir le concept de R2p

La sélectivité des interventions de la prétendue « communauté internationale », est un fait avéré. C’est la conséquence des contradictions des États, coincés entre des logiques externes et internes, des intérêts géopolitiques contradictoires et d’un manque évident de solidarité internationale. C’est aussi le résultat d’un système international profondément inégalitaire. La « real politik » ayant encore de beaux jours devant elle, il importe de pouvoir en tout état de cause renforcer la protection des civils. 
Le concept de R2p est loin d’être une avancée révolutionnaire Mais c’est une étape, modeste, dans le chemin vers la paix et la sécurité. En ce sens, il doit être soutenu.
A l’ONU, le débat continue. Le Conseil de sécurité abordera le concept en juin prochain dans son débat semestriel. L’Assemblée Générale a prévu un débat sur le troisième pilier le 27 juillet et, fort probablement, le Brésil présentera une résolution à l’occasion de la prochaine session de l’AG en automne.
D’ici là, il revient aux États mais aussi à la société civile, ONG,  think tanks, de travailler à renforcer les volets non militaires de la R2p.

Rédigé le 18 juin 2012 par: Laure Borgomano
Repris avec permission du site de Pax Christi Wallonie-Bruxelles.

 

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