Lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies donna son feu vert à l'intervention française en Centrafrique, la Russie et la Chine s'abstinrent d'opposer leur veto. Ce fait intéressant a été ignoré des commentateurs, et en tout cas des censeurs de l'action militaire, toujours prompts à voir dans tout "devoir d'ingérence" la preuve d'un complot impérialiste.
Et les défenseurs attardés de la "souveraineté nationale", comment peuvent-ils fermer les yeux devant les massacres, et faire de toute intervention la démonstration d'un plan ourdi pour mettre seulement la main sur des richesses? La révolution arabe en Libye est tombée en morceaux, en l'absence de tout pouvoir central solide. Faut-il pour autant y voir la preuve qu'il ne fallait pas intervenir pour Benghazi?
La Centrafrique est un de ces territoires issus du système colonial, sans Etat de droit, livrés aux habituels coups de force militaires, comme celui de l'an dernier qui a propulsé sur Bangui des milices agissant sous le couvert de la religion musulmane. Leurs crimes ont entraîné en réaction les massacres opérés par d'autres milices, celles là au nom de la population "chrétienne". Dans l'histoire de l'Afrique noire, c'est la répétition d'une longue série de drames, dont les protagonistes sont toujours de petits seigneurs de guerre. A peine la situation s'améliore-t-elle enfin au Congo oriental qu'un autre foyer surgit, Centrafrique, Sud Soudan. Le comble pour l'armée française est que le Tchad, allié commode de Paris au Mali, se révèle déjà bien encombrant comme force d'interposition à Bangui!
L'Ukraine dans le giron de la Russie
Il y a deux Ukraine, dont l'une n'a pas la détestation de la Russie. Avant de juger sans appel la politique de Moscou dans les évènements de Kiev, reproduisons une opinion exprimée ici même en août dernier: "L'Occident a le Poutine qu'il mérite". Ceux qui, à la faveur de la dislocation de l'URSS et de l'effondrement du système communiste, ont fait avancer l'Otan vers l'Est, n'ont pas compris que, tôt ou tard, ils provoqueraient, en encerclant la Russie, le réveil d'un nationalisme russe virulent. Poutine en a été l'instrument. La politique des zones d'influence n'est pas à sens unique.
Le président ukrainien Ianoukovitch n'est pas un laquais de Moscou. Il trône au dessus d'un système de corruption généralisée, bien antérieur à lui, mais il sait bien que les intérêts de son pays sont étroitement liés à ceux de la Russie. L'Ukraine est dépendante de son puissant voisin pour ses fournitures d'énergie et ses exportations. En regard, le misérable accord d'association offert par l'Union européenne ne pèse pas lourd, et "l'aide" occidentale, dans le style du FMI, n'est pas plus désintéressée que celle de la Russie. Les encouragements prodigués aux manifestants de Kiev, fortement inspirés par des forces nationalistes d'extrême droite, relèvent du même esprit passéiste de guerre froide que celui animant trop souvent Vladimir Poutine lui-même...
Pour le malheur du peuple syrien
Pour son malheur, la Syrie est aussi dans une zone d'influence, celle de Moscou et de Téhéran. La révolution arabe syrienne, à l'origine démocratique, assassinée d'abord par le régime Assad, est maintenant vampirisée par les combattants islamistes qu'assistent l'Arabie saoudite et le Qatar, des pays dont l'intégrisme religieux n'a aucun rapport avec la démocratie.
Robert Falony
Ce texte est repris de 'La lettre socialiste', Numéro 50/Décembre 2013