"La pensée ne doit jamais se soumettre ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit si ce n'est aux faits eux-mêmes parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être." (Citation d’Henri Poincaré reprise dans un discours de l’ULB à l’occasion de ses 75 ans et qui est devenue depuis un des principes fondamentaux de l’université)
Les 20 et 27 janvier derniers, l’Assemblée plénière et le Conseil d’administration de l’ULB ont adopté un nouveau règlement d’ordre intérieur ainsi qu’une charte des administrateurs dont l’un des objectifs est de régir le rôle de ces derniers au sein de l’université. Parmi les dispositions prises par les organes de l’ULB, figurent l’obligation de respect du devoir de loyauté incombant aux administrateurs. Il leur est ainsi demandé de ne «communiquer à des tiers aucun élément dont la divulgation peut porter préjudice à l’Université ou pouvant ébranler la confiance en celle-ci». Il est ensuite précisé que «la/le mandataire exerce de manière loyale et mesurée sa liberté d’expression au sujet des affaires non confidentielles traitées au sein de l’organe où elle/il officie dans le respect de la décision collégiale» et qu’elle/ il «s’abstient en toutes circonstances de propos ou d’actes déloyaux dont il peut être raisonnablement anticipé qu’ils engendreraient un préjudice actuel ou futur à l’ULB ou porteraient atteinte à son crédit.
S’il n’est nullement question dans ce papier de critiquer le moment où a été adopté ce texte, à savoir en plein milieu de la session d’examens et seulement un mois après la constitution de la nouvelle équipe du Bureau des étudiants administrateurs, pas plus que de remettre en question la légitimité démocratique des organes de l’ULB ; il est quand même l’heure pour nous, étudiants administrateurs de l’ULB, d’exposer les raisons qui nous ont amenés à nous opposer à ce devoir de loyauté. En effet, même s’il faut 75% des membres de l’Assemblée plénière pour engager une procédure disciplinaire contre un membre déloyal, nous ne pouvons admettre que l’Université Libre de Bruxelles se munisse d’un texte dont l’application pourrait sacrifier 180 années d’histoire libre-exaministe sur l’autel de l’efficacité et de la collégialité.
Si nous employons le conditionnel, c’est qu’il n’est pas question de faire un procès d’intention qui consisterait à faire endosser aux autorités de l’ULB la volonté de museler à l’avenir les administrateurs sur toutes les positions prises par les organes de l’ULB. Toutefois, avec la mise en avant de notions aussi imprécises que douteuses, telles que la «loyauté», le «crédit de l’ULB», ou encore la «confiance en celle-ci», il y a lieu de s’inquiéter.
Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé de se rassurer à l’écoute attentive des précisions qui nous ont été données pour interpréter la loyauté des administrateurs. Ainsi, nous avons été particulièrement sensibles à l’argument du Président du Conseil d’administration selon lequel les fuites au sein d’une discussion démocratique risquaient d’envenimer la construction du débat. Or, ce risque était déjà couvert par la notion de confidentialité qui protégeait le débat de ce genre de situation. D’ailleurs, cette notion de confidentialité est déjà très large. En effet, le secret (concernant des informations ou des opinions) est imposé lorsque l’assemblée le décide ou lorsque des personnes font l’objet d'un débat, et également lorsque les informations et opinions présentent par nature ou en raison de leur contexte un caractère sensible. Dès lors, quel est donc l’intérêt d'ajouter ce "devoir de loyauté" si son application se superpose au devoir de confidentialité déjà bien contraignant ? Cela ne tiendrait pas debout vu la clarté peut-être aveuglante du règlement qui exprime que la loyauté ne s’applique pas aux informations confidentielles. Donc, force est de constater que le devoir de loyauté couvre d’autres situations que celles confidentielles ? Ainsi, nous nous demandons quelles seraient les opinions ou informations qui mériteraient le silence d’un administrateur si elles ne sont pas confidentielles ?
À cette question, il nous a été fourni comme argument qu’il ne serait pas sain qu’une décision collégiale puisse ensuite être dénoncée par les membres d’une assemblée, quand bien même une partie de ces membres s’y seraient opposés. Il faudrait respecter la légitimité démocratique des organes de l’ULB. Comme si, une fois la décision prise, le libre examen s’arrêtait à la simple liberté de conscience qui ne pourrait plus être extériorisée par la liberté d’expression. Bien entendu, le BEA se doit de respecter la légitimité démocratique malgré sa place minoritaire dans les assemblées, mais il ne peut accepter une telle interprétation de la loyauté qui violerait sa liberté d’expression et dénaturerait un des fondements de l’ULB : la liberté. Et ce, quand bien même les critiques émaneraient du cœur des organes démocratiques de l’institution et entacheraient son crédit ou remettraient en cause la confiance des usagers à son encontre. En effet, les débats qui traversent une université sont nobles et ils nourrissent la démocratie. Pourquoi les cacher sous prétexte de préserver la confiance et le crédit de l’institution ? L’ULB n’est pas une entreprise qui doit faire fleurir son fonds de commerce en préservant son image ; non, son rôle est de susciter le débat et de pousser à la réflexion même si celle-ci heurte son image. Il ne faudrait pas que le culte de l'image et de l’efficacité l'emporte sur les valeurs fondamentales, sinon c'est l'existence même de l'institution qui est menacée.
Jamais, un administrateur ne devrait se tenir à une interprétation de la loyauté qui consisterait à devoir porter une muselière. Si demain un tel texte d’opposition face à une décision des organes de l’ULB devait entraîner une procédure disciplinaire d’un administrateur pour cause de déloyauté, que les autorités de l’ULB le fassent savoir. Sinon, que le silence des autorités serve de précédent pour qu’à l’avenir la phrase d’H. Pointcaré ne devienne pas une citation dénuée de sens qui ne servirait plus qu’à garnir la première page des syllabus de l’ULB. C’est donc par le présent article que le BEA se permet de poser les premières balises d’interprétation du devoir de loyauté pour que le libre examen triomphe.
Le Bureau des étudiants administrateur de l’ULB (Lucien Rigaux, Astrid Murango, Lola Wajskop, Mathilde Calomme, Simon Torbeyns, Alexis Prickartz, Lionel Delchambre, Marceau Lecomte, Elissa Fleiti, Jérémy Cosyns, Hugo Cordier, Sonia Rijllart, Guillaume Couvert, Marie Delcourt, Mattéo Luisetto, Aurore Joly, Thomas Juwet, Eponine Sels, Asmae El Addad, Anouck Vandevoorde, Robin Van Leeckwyck, Gédéon Kasende).