En Belgique comme ailleurs, s' effectue un remarquable travail d'exhumation des horreurs de la grande boucherie de 1914-18, mais les médias laissent aux historiens la question centrale des responsabilités. La critique de la conquête des marchés n'est pas dans l'air du temps, ni même celle du militarisme et de ce nationalisme dont on revoit la résurgence un peu partout à travers le monde. Au mieux, la pensée officielle peut aller jusqu'à mettre en question le jeu des alliances de l'époque. Mais on voit bien que les grandes capitales concernées n'ont aucune envie de creuser davantage sur leurs propres responsabilités dans un passé qui n'est pourtant pas si lointain... Commémorer, oui, mais patriotiquement!
En Belgique, c'est facile, la neutralité de ce petit pays a été sauvagement violée par l'Allemagne impériale. On va rencontrer, au mois d'août, le souvenir de crimes de guerre abominables qui n'étaient pas ceux des nazis, mais des soldats de Guillaume II.
Voyons d'abord le cas allemand. Le régime nazi, universellement réprouvé, fait écran et occulte la réalité antérieure du vieux militarisme prussien. Il ne faut pas trop peiner la chancelière Merkel et les électeurs de la CDU en soulignant que le pouvoir conféré à Hitler (financé par le grand capital) le fut par le président Hindenburg, héritier historique de Frédéric II et de Bismarck. Ni que l'Allemagne contemporaine a transféré sur le terrain monétaire cette vieille propension à l'hégémonie. Quant aux sociaux-démocrates, le vote des crédits à la guerre en 1914, à l'unanimité, au contraire de toutes les belles résolutions, demeure la plus grande honte de leur histoire.
En 1914, le parti de la guerre à Berlin assura donc l'Autriche-Hongrie de son appui dans ses ambitions balkaniques, poussant à la catastrophe.
La France. On n'imagine pas François Hollande ou Manuel Valls déclarer que la récupération de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine ne valait pas ces millions de morts et de mutilés, ni même que l'alliance contre nature entre l'empire des tzars et la France républicaine ( nouée déjà au temps d'Alexandre III, les fameux emprunts russes) "justifiait" la thèse de l'encerclement de l'Allemagne. Rendre hommage à Jean Jaurès, c'est d'abord se souvenir qu'il combattait le nationalisme de son propre pays, incarné par le président de la République élu en 1913, Raymond Poincaré, et tant d'autres.
Les petits nationalismes sont nocifs comme les grands. Il s'est trouvé le 28 juin des nationalistes serbes pour rendre hommage au geste imbécile de Prinzip à Sarajevo. Ils appartiennent à la même espèce que les assassins de Srebrenica durant la guerre en ex-Yougoslavie.
Il va être curieux de considérer ce centenaire tel que vu de Moscou, dans l'optique de l'autocrate Poutine, promoteur du nationalisme grand russe et panslave. De la à réhabiliter le fantoche Nicolas II et la clique de ceux qui voulurent la guerre pour refouler la révolution...
Ce qu'il y a d'actuel dans toutes ces considérations, c'est, redisons le, la résurgence du nationalisme d'exclusion, tel qu'il sévit en Ukraine. Seule une Ukraine neutralisée peut trouver la paix. Toute nouvelle extension de l'Otan vers l'Est attiserait le conflit avec la Russie. Et c'est ce grand saut en arrière que représente l'exaltation de la "souveraineté nationale" face à la non Europe du capitalisme, lequel s'en accommode très bien, de même qu'il produisait la guerre il y a cent ans.
Robert Falony
A paraître aux éditions Jourdan dans les prochains mois: Cent ans d'Histoire. Thème central: la guerre et la finance ont tué la démocratie... La préface est de Philippe Moureaux.