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Analyser la question du Proche Orient nécessite un développement plus important qu’un simple article. Aussi, cette prise de position sur cette question aussi complexe que dramatique est présentée ici en deux parties La première part des origines du conflit jusqu’à la naissance de l’Etat d’Israël... Le deuxième volet, plus consacré aux événements actuels sera publié demain sur Uranopole.

I – L’engrenage infernal

Comme celui d’Hiroshima, le nom de Gaza sonnera dans l’esprit des occidentaux comme une plaie jamais cicatrisée.

Comme Hiroshima, Gaza est détruite, brûlée, écrasée. Chaque habitant, homme, femme, enfant, vieillard, est à la merci du hasard des bombes et obus qui pleuvent inexorablement et sans interruption sur leurs têtes. Nul endroit, en dehors de dérisoires abris, n’est protecteur.

Comme Hiroshima, Gaza subit la sanction totale voulue par ses ennemis. On dirait qu’il n’y aura de paix qu’au terme de l’écrasement intégral.

Gaza n'a jamais été une ville comme une autre. Alain Gresh (1) écrit dans la dernière livraison du "Monde diplomatique" : « Dès l’Antiquité, Gaza fut au carrefour des routes commerciales entre l’Europe et l’Asie, entre le Proche-Orient et l’Afrique. La ville et le territoire se sont donc trouvés au cœur des rivalités entre les puissances de l’époque, de l’Egypte pharaonique à l’Empire byzantin en passant par Rome. C’est là, en 634 de notre ère, que se produit la première victoire avérée sur l’Empire byzantin des adeptes d’une religion encore inconnue, l’islam, dont le prophète, Mohammed, s’était éteint deux ans auparavant. Gaza restera sous autorité musulmane jusqu’à la première guerre mondiale, avec quelques intermèdes plus ou moins longs : royaumes francs ; invasion mongole ; expédition de Bonaparte. (…) Porte de la Palestine, il sera conquis sur l’Empire ottoman par le général britannique Edmund Allenby le 9 novembre 1917, lui ouvrant l’accès à Jérusalem, où il entre le 11 décembre. »

L’engrenage infernal

La suite constitue un engrenage infernal. Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, adressa le 2 novembre 1917 après la victoire d’Allenby à Beer-Shev’a (actuel chef lieu du désert du Néguev israélien) une lettre à Lord Lionel Walter Rotschild, alors considéré comme le représentant de la communauté juive britannique, par laquelle il annonce : « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Et il le prie de porter connaissance de cette déclaration à la Fédération sioniste.

De son côté, le colonel Thomas Edward Lawrence (mieux connu sous le nom de « Lawrence d’Arabie ») avait promis aux Arabes la constitution d’un Etat libre et indépendant. Ce fut l’Emirat hachémite de Transjordanie qui exista jusqu’en 1946 et qui était en réalité sous contrôle britannique.

Cependant, l’immigration juive qui s’en suivit ne fut pas acceptée aisément. Mais, il n’y avait pas seulement cela. Le projet sioniste consistait à construire un Etat-nation juif. D’ailleurs, l’ouvrage manifeste du fondateur du sionisme, Théodore Herzl, s’intitule : « L’Etat juif ». Pour un peuple qui a erré plusieurs siècles à travers les nations, réaliser ce projet n’était pas évident.

« Les sionistes partaient de la conviction qu’Israël ne pouvait renaître en tant que nation que s’ils construisaient une structure semblable à celle des autres nations, sur une large base d’agriculteurs et de travailleurs manuels. Pour se normaliser, il fallait que les Juifs renversent la pyramide sociale du ghetto, où ils avaient été condamnés durant des siècles à l’existence parasite d’usuriers, de marchands et d’intermédiaires. La Terre promise ne serait vraiment leur que s’ils en travaillaient le sol de leur propre main. » écrit Arthur Koestler dans L’Analyse d’un miracle.

Certes le projet sioniste qui a vu ses premières réalisations élaborées sous l’influence du mouvement de gauche sioniste le Bund était libérateur et progressiste. Son aboutissement fut la fondation de villes comme Tel Aviv et bien entendu le mouvement des kibboutzim, coopératives de fermes collectives où s’élaborait une société socialiste.

Cependant, le mouvement sioniste fut déchiré en 1923, cinq ans après Balfour, en deux tendances. Vladimir Jabotinsky, juif russe né à Odessa en 1880 prônait un sionisme conquérant. Il fonda l’Union mondiale des sionistes conquérants dont le siège était à Paris. Son programme était un Etat juif sur les deux rives du Jourdain correspondant au territoire de la Palestine sous mandat britannique, une économie libérale et s’il défendait la démocratie formelle, Jabotinsky tout en gardant ses distances avec le fascisme mussolinien, n’était pas hostile à un système autoritaire. Son mouvement aboutira à l’organisation terroristes Irgoun qui est à l’origine du Likhoud actuel de Netanyahou.

L'autre branche était constituée de l’aile gauche sioniste et était dirigée par David Ben Gourion, Grün de son patronyme, juif d’origine russe né à Plonsk (à l’époque russe, aujourd’hui polonaise) en 1886. Il s’installa en Palestine alors ottomane en 1906. Il prôna la coopération avec la Turquie jusqu’en 1915 après la déclaration de guerre de la Russie à la Turquie. Il se tourne alors vers les Anglais et s’engage en 1917 dans une unité juive de l’armée britannique connue sous le nom de « Légion juive ».

En 1921, Ben Gourion est élu secrétaire général de la Histadrout (Association générale des travailleurs de Eretz Israël, le syndicat socialiste juif). Il privilégie cependant le sionisme par rapport au projet d’une société socialiste.

Il tente en 1935, après être devenu chef du département politique de l’Agence juive, de se rapprocher du parti de Jabotinsky, mais c’est peine perdue. Ben Gourion ira même jusqu’à le traiter de « Vladimir Hitler » !

1935 : début de la guerre israélo – arabe

C’est cette année-là que les Arabes de Palestine se révoltent contre le mandat britannique avec comme revendication la fin du « foyer national juif » en Palestine. Sous l’impulsion de Ben Gourion, la milice juive de défense, la Haganah, se développa et devint une force redoutable.

En effet, de 1918 à 1948, au cours de l'Alya (le nom hébreu pour désigner l’immigration des Juifs vers Israël), la population juive en Palestine passe de 83 000 personnes à 650 000. La croissance est certes due à une forte natalité, mais surtout à une importante immigration suite à la montée des fascismes en Europe, ainsi qu'à la montée de l’antisémitisme en Europe centrale et orientale dès les années 1920.

Cet antisémitisme culminera avec la Shoah. Pendant cette période, l'Agence juive favorise l'immigration juive par tous les moyens. Dès la seconde moitié des années 1930, après les restrictions sur les certificats d'immigration délivrés par les Britanniques, elle organise l'immigration clandestine.

Durant la même période, la conscience nationale palestinienne se développe et la population arabe de Palestine s'oppose violemment au sionisme, à l'immigration juive et au mandat britannique. Un des motifs est l'acquisition des terres arables par les Juifs. En effet les sionistes rachetaient systématiquement - au prix du marché - les terres agricoles aux Arabes palestiniens qui se sentaient ainsi floués et exclus.

La guerre est ainsi lancée et ne s’arrêtera plus.

En 1939, après 3 ans de révolte arabe et à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne choisit le camp arabe. Le troisième livre blanc sur la Palestine rédigé par Malcolm Mac Donald, ministre britannique des colonies, pour apaiser la révolte arabe, prône une diminution drastique de l’immigration juive (75.000 personnes sur cinq ans) et promet la création d'un État arabe indépendant dans les 10 ans.

Les forces sionistes aussi bien de l’Irgoun que de la Haganah se mobilisent contre le Livre blanc dès 1939. Les attentats contre l’armée britannique seront suspendus dès septembre 1939, à la déclaration de guerre avec l’Allemagne, mais reprendront à l’initiative de l’Irgoun dès 1941.

À partir de 1945, la situation devint impossible pour les Britanniques. Les attentats se multipliaient. Ils ne parvenaient pas à empêcher efficacement l’immigration juive, massive après la Shoah. Diplomatiquement, la Grande Bretagne s’isolait. L’ONU mit fin au mandat britannique en 1947.

Déjà deux Etats

Un plan de partage est adopté par la résolution 181 de l’ONU qui avait pour but la création de deux Etats:

- un État juif de 14 000 km2 avec 558 000 Juifs et 405 000 Arabes ; formé de trois parties, la plaine côtière, le long de la frontière syrienne et le désert du Neguev ;

- un État arabe de 11 500 km2 avec 804 000 Arabes et 10 000 Juifs formé de quatre parties : une zone autour de la ville de Gaza, les montagnes de Judée et de Samarie, la majeure partie de la Galilée au Nord, ainsi que la ville de Jaffa;

- enfin, une zone sous régime international particulier comprenant les Lieux saints, Jérusalem et Bethléem avec 106 000 Arabes et 100 000 Juifs. Ce plan est accepté par les Juifs, à l’exception de l’Irgoun et aussi approuvé secrètement par le roi Abdallah de Transjordanie qui sera assassiné à Jérusalem, mais il sera rejeté par l’ensemble des Etats membres de la Ligue Arabe et les Palestiniens.

Remarquons que jusqu’aux accords d’Oslo, il n’y eut aucune initiative diplomatique aboutissant à un partage et donc à une définition claire des frontières de l’Etat d’Israël.

Après l’échec du partage, la tension est donc à son paroxysme.

L’Etat d’Israël est proclamé le 14 mai 1948. Les Etats arabes lancent aussitôt une offensive combinée contre Israël qui, si elle fut meurtrière, échoua rapidement. Cette guerre mit fin au plan de partage. Grâce à leur victoire, les Israéliens ont agrandi leurs possessions par rapport au plan de partage, à l’exception de Jérusalem qui sera coupée en deux.

La nabka et la question de l’identité

Dans l’ensemble de la Palestine, les implantations juives se multipliaient obligeant ainsi les Arabes Palestiniens à s’exiler. Bien des témoignages ont été émis sur cette tragédie qui s’est parfois soldée par des massacres de populations dont celui de Deir Yassine par l’Irgoun.

Cet exil forcé que les Palestiniens ont appelé « nabka » (la catastrophe) a mis en évidence un élément fondamental. En créant un Etat juif, les Israéliens en excluaient par définition tous les éléments non juifs.

Et on en vient à la question primordiale de l’identité.

L’Etat d’Israël, comme Etat juif est un Etat accueillant les Juifs du monde entier auxquels, pour la première fois dans leur histoire, il leur était reconnu une nation, dans la conception de l’Etat-nation née au XIXe siècle. David Ben Gourion le proclama en ces termes le 14 mai 1948, dans une petite salle du musée de Tel Aviv : « Eretz Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se modela sa forme spirituelle, religieuse et politique. C’est là qu’il réalisa son indépendance. C’est là qu’il créa ses valeurs tant nationales qu’universelles et qu’il donna au monde le Livre des Livres Eternels. Exilé de Palestine, le peuple juif lui demeura fidèle tout au long de sa dispersion et il n’a cessé de prier pour son retour. »

Ensuite, il donna en quelques mots les principes constitutifs du futur Etat: paix, justice, liberté, notamment des cultes et de conscience, égalité sociale et politique sans distinction de race et de sexe, respect de la Charte des Nations Unies. Et David Ben Gourion termina par un appel à l’immigration juive pour la reconstruction et la « rédemption d’Israël ».

Michel Laval (2) écrit: « Phrase après phrase, le visage du futur Etat se dessine. Israël sera une démocratie, mais une démocratie « pas comme les autres » portant le double héritage de l’idéal politique européen moderne et de l’histoire du peuple juif, de la Déclaration des droits de l’homme et de l’Ancien Testament, des Lumières et du Talmud, de Montesquieu et de Moïse ».

De cet extraordinaire discours transparaissent deux éléments fondamentaux. Les valeurs juives dont chacun reconnaît l’élévation de pensée sont mises en parallèle avec les valeurs universelles ou communément admises par l’ensemble des démocraties et les Nations Unies qui forment le droit international. C’est évidemment la source d’un antagonisme : dans certaines circonstances, n’y a-t-il pas contradiction entre ces valeurs juives et les règles du droit international ? Israël – et c’est logique – mettra toujours en avant la judéité qui est sa raison d’être, souvent au détriment du droit des gens.

En outre, Ben Gourion met en exergue l’idée d’un Etat d’Israël exemplaire. Et s’il le fut incontestablement en bien des points, comme la hauteur morale exceptionnelle de ses dirigeants, une organisation démocratique très poussée, une éducation particulièrement soignée. Mais il restait la plaie des réfugiés qui ternissait cet idéal qui animait incontestablement les pionniers.

Malheureusement, le statut des Arabes restés en Israël en faisait des citoyens de seconde zone. Et puis, les choses se dégradèrent au gré des guerres successives, des crises sociales et politiques que cet Etat connut : la corruption a gangréné sa classe politique, la violence exercée à l’égard des populations arabes, voire même à l’égard de certaines catégories d’immigrés juifs, comme les Juifs éthiopiens ont terni cette réputation d’exemplarité.

Ainsi, tout était en place pour ce qui sera le plus long conflit de l’histoire contemporaine.

(fin de la première partie)

Pierre Verhas

(1) Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique, est d’autant plus sensible aux révolutions du monde arabe qu’il est lui-même né en 1948, au Caire. Fils naturel du militant communiste et internationaliste Henri Curiel, il a été élevé par un père adoptif copte et une mère d’origine russe. Très engagé dans le combat pour la libération de la Palestine, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Proche-Orient et l’islam.

(2) Michel Laval,  l’homme sans concessions – Arthur Koestler et son siècle, Calmann-Lévy, 2005.